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INTERVIEW

TU MÉRITES UN AMOUR

Hafsia Herzi

Réalisatrice, scénariste, actrice et productrice

Le 29 août 2019, au cinéma Le Méliès de Saint-Étienne, la jeune Hafsia Herzi apparaît face aux spectateurs pour présenter une avant-première de son premier long métrage comme réalisatrice : « Tu mérites un amour ». Sous des apparences de petit bout de femme empreinte de modestie et de gratitude, se terre aussi une artiste déterminée et passionnée, prête à tout et sans tabou, tant dans son film que dans l’échange très ouvert et décomplexé qui s’installe avec le public.

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© Rezo Films

Les félicitations s’enchaînent au fil des interventions des spectateurs, que l’actrice-réalisatrice accueille à chaque fois avec un « merci » sincère, visiblement touchée par toutes les marques de reconnaissance. Il faut dire que son film est une aventure assez incroyable, et que le destin de ce long métrage, sélectionné à Cannes et très bien accueilli par la critique, n’était pas joué d’avance, tant le projet est atypique dans la façon dont il a été mis en œuvre. A une époque où l’on a tendance à s’inquiéter sur la santé du cinéma indépendant face à des mastodontes toujours plus puissants, Hafsia Herzi a en effet eu le courage de se lancer dans l’autoproduction. Elle clame à qui veut l’entendre (et on veut bien la croire) qu’elle était guidée par une « urgence de tourner », avec une forte envie de passer derrière la caméra (chose qu’elle avait déjà faite pour un court métrage en 2010). Elle raconte donc qu’elle a plongé dans cette entreprise en se disant que ça valait le coup d’essayer et tant pis si le film est finalement « raté » et qu’il « reste dans un placard ».

C’est ainsi qu’elle a tourné "Tu mérites un amour" en deux semaines, réparties sur les mois de juillet et août 2018, seulement accompagnée d’une toute petite équipe : un chef opérateur, un deuxième caméraman (nécessaire, vu la configuration du tournage), un technicien son et une assistante réalisatrice, puis un stagiaire arrivé en cours de tournage après une rencontre impromptue. Sans autorisations, Hafsia Herzi raconte que les scènes ont été filmées de façon sauvage ou dans des lieux gracieusement prêtés par les propriétaires, parfois pour des durées très courtes nécessitant une grande efficacité.  Les spécificités de ce tournage n’impliquaient pas seulement des inconvénients, selon la réalisatrice, qui explique qu’elle avait plus de marge de manœuvre sur certains aspects, comme la réécriture des textes en fonction des circonstances, des comédiens ou de l’évolution de ses idées.

Pour l’interprétation, elle a fait appel à des professionnels peu connus comme à des amateurs néophytes. Bien que l’on ait parfois l’impression que les dialogues laissent place à une part d’improvisation, la jeune réalisatrice explique que tout est, au contraire, précisément écrit et que l’apprentissage par cœur des répliques était d’ailleurs la principale consigne qu’elle donnait à ses comédiens. Elle explique avec malice qu’elle leur mettait une certaine pression à ce sujet en leur disant qu’elle les remplacerait s’ils ne connaissaient pas leur texte, alors qu’elle n’avait pas vraiment de marge de manœuvre pour trouver d’autres interprètes ! D’ailleurs, elle n’avait initialement pas envisagé de jouer elle-même le personnage principal, mais elle a fait ce choix à la dernière minute. Elle avait pensé un temps à le confier à Myriam Djeljeli, qui joue l’ex de Rémi dans le film, mais la réalisatrice avoue avoir eu peur qu’elle n’y parvienne pas avec si peu d’expérience, donc elle a joué la sécurité en endossant le rôle.

Revenant sur la sélection à Cannes, Hafsia Herzi admet que ce fut une grande chance et explique qu’un tel film peut rester invisible sans un premier tremplin dans le cadre d’un festival – elle se dit également fière d’avoir récemment obtenu le prix de la mise en scène au festival d’Angoulême. Elle détaille l’aventure cannoise du film : seul le monteur était au courant de la démarche et la réalisatrice a ensuite tenu à rencontrer chacun des principaux interprètes pour leur annoncer personnellement la bonne nouvelle en leur tendant un papier officialisant la sélection. Grâce à cette exposition à Cannes, "Tu mérites un amour" a été vendu dans de nombreux pays, y compris au Maghreb et en Égypte, Hafsia Herzi rejouant sa surprise auprès des distributeurs de ces derniers : « Vous avez vraiment vu le film ? » plaisante-t-elle.

En effet, son long métrage peut paraître bien trop tabou pour certaines cultures, mais Hafsia Herzi note, amusée, qu’en France aussi, certains spectateurs lui ont dit qu’ils trouvaient qu’il y avait « trop de bisous ». Mais elle assume pleinement  son rapport au corps : « c’est la vie, c’est normal, pourquoi ça serait tabou ? » Concernant la thématique du film, l’actrice-réalisatrice estime que, si l’amour est un sujet récurrent, elle a l’impression que le cinéma français n’avait jamais abordé profondément le chagrin amoureux. Elle a eu envie de comprendre, a pris le temps de questionner des personnes diverses, et s’est rendue compte que c’était « universel » et qu’il n’y avait « pas d’âge » pour être bouleversé par une rupture au point de faire un peu n’importe quoi comme le personnage du film.

A partir de 2016, elle a donc progressivement écrit son scénario. Le titre reprend celui d’un poème de Frida Kahlo que le personnage de Charly (joué par Anthony Bajon, révélé en 2018 par "La Prière") déclame vers la fin de l’histoire. Hafsia Herzi explique que c’était « un bon titre » mais qu’elle a eu besoin de « vérifier si la scène fonctionnait pour valider le titre du film ». Concernant l’humour, elle dit ne pas avoir conscience d’une référence particulière lorsqu’un spectateur le compare à celui de Judd Apatow : « j’écris d’abord ce qui me fait rire, j’écris pour moi et si ça en fait rire d’autres, tant mieux ! » En revanche, elle admet volontiers l’influence de Kechiche pour d’autres aspects.

La rencontre avec ce public conquis se termine par une anecdote : la société « Les Films de la bonne mère », qui est créditée au générique, n’avait pas d’existence officielle au moment de la production et n’a obtenu son immatriculation que trois jours avant cette avant-première. Voilà donc Hafsia Herzi à la tête d’une petite société de production, à laquelle on ne peut que souhaiter un bel avenir, pour le bien du cinéma indépendant !

Raphaël Jullien Envoyer un message au rédacteur

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