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INTERVIEW

THE VIGIL

Keith Thomas

C’est dans les salons de l’Hôtel Beau Rivage de Gérardmer, face au lac, mais à l’abri des trombes d’eau qui s’abattent à l’extérieur, que l’auteur du film d’horreur « The Vigil« , dont l’action se situe dans le milieu juif orthodoxe, a accepté de nous rencontrer. À l’occasion de la sortie en VOD de ce film nerveusement éprouvant, nous revenons sur cet échange.

Entretien Rencontre Interview The Vigil affiche
© Wild Bunch Distribution

La religion et les films d’horreur

La question de la foi et de la religion sont souvent au cœur des films d’horreur, comme "L’exorciste", ou cette année au Festival de Gérardmer dans "The Lodge" ou "Saint Maud". C’est sans doute finalement le doute sur l’existence ou la croyance en Dieu (et donc en son « opposé ») qui font que tout le monde peut s’identifier.

Keith Thomas, quand il réfléchit « à l’horreur comme un genre » se dit qu’il « y a toujours des éléments surnaturels », alors que « les slashers sont plus des thrillers, des films à suspense ». « Dans les films d’horreur, les vrais, cela implique l’existence d’un au-delà. Il s’agit d’une notion universelle sur laquelle tout le monde se pose des questions. Il est alors facile de le relier à la peur. » Le personnage du vigil lui-même pense, il est lié dans sa fonction à la mort. Il observe alors qu’il est sensé participer. Et le spectateur en vient aussi à se poser des questions, donc à avoir peur. Quant à lui-même, il a été élevé dans un milieu juif, il a étudié dans une école rabbinique, mais il se considère aussi comme un « observant ».

Un personnage de shomer peu traditionnel

Le shomer du film est très dissipé, il regarde ses textes, il a la tentation de l’extérieur. Keith Thomas n’a pas choisi un shomer traditionnel, ayant potentiellement un autre trauma. Il avoue qu’il « s’agit en effet d’un mauvais shomer ». Traditionnellement ce doit « être un membre de la famille, un ami, c’est une tâche très personnelle. Il y a une rotation toutes les quelques heures, et ils sont supposés prier et ne rien faire que le mort ne peut pas faire », comme par exemple manger ou aller aux toilettes. « Lui est un être en crise, il a quitté la communauté. Il n’a pas su gérer la tragédie, l’accompagner, se confronter à ses problèmes. »

La figure du démon

Ce démon, qui se manifeste dans le film, dans le fond, c’est un peu lui-même. Il se nourrit de ses culpabilités liées à la mort du frère et au fait d’avoir quitté la communauté. Pour Keith Thomas, « le challenge était [avant tout] de trouver le démon ». Car, dans la religion juive, s’il « existe de vraies références, il n’y a pas de description » de démons. Comme qu’il a choisi a un lien avec le fait que son personnage regarde toujours vers le passé, d’où la tête, qui adopte en partie le visage du personnage. Le seul moyen de le combattre est d’être capable de « regarder en soi », de se confronter à soi-même et de « faire face a ses faiblesses ». Et si son visage était différent, cela aurait été plus difficile. C’est là « le climax du film, le dernier challenge, se regarder soi-même ».

L’éprouvante seule scène extérieure à la maison

La scène extérieure, avec le principe du craquement des os et une certaine idée d’un démembrement est particulièrement efficace et symbolise partiellement le ressenti du personnage à l’extérieur de sa communauté. Keith Thomas précise que l’idée de départ « était d’avoir une maison hantée », tout en faisant que le spectateur « se demande pourquoi ils ne partent pas ». En effet, selon lui, « cela serait sensé ». C’est d’ailleurs une « réalité souvent absente des films d’horreur, quand un personnage comprend que les phénomènes ne sont pas dans sa tête », il devrait s’en aller, logiquement. « Ici l’idée était d’avoir à revenir de son plein gré. Plus loin il va, plus il se délite. Il est certes de plus en plus fort, mais aussi il se détruit de plus en plus. ».

Cette scène est « un point de transition. Tout, à partir de là, prend l’aspect d’un cauchemar. Ça a été la dernière scène tournée. Elle a demandé une grosse préparation par un froid intense. Le tournage a été chaotique. Il a duré de 17 heures à 7h du matin, en plein hiver. Il a demandé beaucoup d’aller s-retours ». Cela est très très difficile, notamment quand le personnage passe l’angle de la rue, « cela était très physique très épuisant pour l’acteur ».

Jouer avec les nerfs du spectateur

À la vision du film, on se dit que Keith Thomas sait particulièrement provoquer l’inquiétude. Les quelques jeux avec la pénombre sont assez visuels, et un simple geste suggère beaucoup, comme par exemple le très beau plan fixe sur la main de la vieille, lorsqu’elle saisit le bout de l’escalier et tourne autour pour monter. Précisant que lui-même peut dessiner, il indique qu’il a storyboardé tout le film ». Il recherchait « spécifiquement ces sortes de plans, qui dans un espace confiné sont un moyen d’élargir le champ. »

Mais, il avoue qu’il était « aussi fasciné par les mains de cette actrice et [qu’elles sont] devenues le point de focus au tournage ». Il a beaucoup travaillé avec le directeur de la photographie, à la fois pour le choix des couleurs, des plans, des lentilles. Ils ont réalisé un photo-book du film et pour cette séquence définit le mouvement lent avec » l’actrice. Il admet qu’il « est cependant difficile d’avoir des ombres justes. Dans la séquence d’introduction, par exemple, le Mazik est dans l’angle, mais ne se voit pas. Seuls les possesseurs du Blu-ray le remarqueront peut-être.

Concernant le choix de Lynn Cohen pour le rôle de la veuve

Keith Thomas indique qu’il avait « vu cette actrice de 86 ans, dont il connaissait le travail ». Elle a notamment joué dans "Hunger Games 2", dans "Munich" et dans la série télé "Sex and the City". « Elle était familière avec la communauté » car elle a notamment une grand-mère ukrainienne. Il lui a ajouté la maladie d’Alzheimer, sur laquelle elle s’est faite sa propre expérience, en faisant des recherches et rencontrant des malades dans des hospices, « ce qui rend son personnage intéressant », « à la fois creepy et triste ». Ceci surtout « car c’est finalement celle dont la mémoire défaille qui raconte l’histoire ».

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur

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