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INTERVIEW

SHE WILL

Alice Krige

Actrice

C’est au bord du lac, durant le Festival de Gérardmer 2022, dans le très agréable salon de l’hôtel Beaurivage, qu’Alice Krige, actrice principale du formidable film « She Will« , présenté en compétition, a accepté de nous donner une interview en tête à tête. Un échange passionnant de près de 30 minutes, qui s’intéresse notamment à nombre d’interprétations du film, et qu’on vous recommande donc de ne lire qu’après avoir vu celui-ci, quelques Spoilers (signalés) obligent.

Entretien Interview Rencontre Alice Krige actrice du film
© Alba Films

Journaliste :
Comment avez-vous eu connaissance de ce projet ? Et qu’est-ce qui vous de décidée à vous impliquer dans celui-ci ?

Alice Krige :
On m’a envoyé le scénario. Charlotte [Colbert, la réalisatrice] ne voulait pas faire d’essai vidéo, elle voulait juste me rencontrer, ce qui fut merveilleux. Et on a passé un long moment à juste parler ensemble. On a tout de suite ressenti une connexion. Elle m’a fait rire.

C’est quelqu’un de très passionnée, de très expressive. Elle a une formidable imagination et un réel point de vue. Et on a parlé pendant deux heures de tout, de l’univers du scénario. Puis elle m’a offert le rôle.

Quant à moi j’ai voulu faire le film, car Veronica [son personnage] s’embarque dans un voyage extraordinaire. Elle part de loin, d’un endroit fait de chagrin, de colère et de désespoir, et d’ici la fin il y aura de l’espoir, elle aura réussi à se débarrasser de toute la négativité à laquelle elle s’accrochait. Et elle finit par enlever un masque. Et c’est juste fabuleux pour une actrice de pouvoir explorer ce processus. On espère que dans ce processus on découvrira non seulement des choses sur elle, mais aussi sur soi-même. Et parfois c’est le cas, et peut-être que quelqu’un dans le public partagera aussi cette découverte.

Journaliste :
Dans la dernière scène du film, dans le train, [Attention Spoiler] votre personnage se découvre un peu une fille. Ce qui est en quelque sorte quelque chose qu’elle ne s’est sans doute jamais permi. Comment interprétez-vous l’image du lac à l’envers (du début) qui revient alors ? On s’attendrait à ce qu’il soit à nouveau à l’endroit à la fin…

Alice Krige :
Je pense que la signification du lac inversée est quelque chose d’absolument personnel aux spectateurs. Je n’ai jamais demandé à Charlotte ce que ça signifiait et je ne savais pas qu’il y aurait ce plan. Mais lorsque j’ai vu le film pour la première fois, pour moi c’était comme si les esprits des deux femmes étaient toujours là, et que c’était elles qui étaient au-dessus de l’eau.

Mais oui, il est toujours à l’envers alors que tout a changé. Peut-être qu’on peut s’attendre à ce qu’il soit à nouveau à l’endroit, mais ça ne m’a pas préoccupée, car elles étaient toujours présentes à cet endroit, c’est juste leur point de vue qui avait changé. Par contre je m’interroge toujours sur le titre du film. J’ai demandé à Charlotte ce que veut dire « She Will ». Et elle m’a répondu que c’était à moi de décider de ce qu’ « elle va »… (rires)

Journaliste :
Comment percevez-vous votre personnage ? Comme quelqu’un qui a perdu sa force en route (elle a eu une opération difficile) ?

Alice Krige :
Pour moi (mais bien sûr chacun ressent les choses de manière légèrement différente, du fait de sa propre expérience de vie), ce qui lui est arrivé quand elle avait 20 ans, sur ce plateau de tournage, n’était pas quelque chose dont elle pouvait parler. Les gens autour d’elle avaient trop de pouvoir. Je suppose aussi qu’à cet âge on se pose aussi la question « est-ce que c’était ma faute ».

C’était quelque chose de passé sous silence, mais le choc, les dégâts, le traumatisme, sont restés. Elle a juste tout effacé et mis une sorte de masque, un autre visage. Et petit à petit ce visage est devenu de plus en plus dur. Et je pense que quand on réprime ce genre de peine, de colère, de souffrance, cela ressort et se traduit chez certaines personnes dans leur corps, en une maladie… Au fil de sa vie, elle a repoussé le monde extérieur. Quand on fait sa connaissance, elle est seule dans une grande chambre, elle est arrivée à un moment où son corps a été mutilé, et elle pense partir en retraite encore plus loin. Mais elle a Desi avec elle…

Elle est très irritée de devoir emmener l’infirmière avec elle. Mais l’assurance l’a exigé, donc Desi est venue. Elle en devient très dure, elle est insultante, la rejette. Mais Desi est un formidable personnage, car on découvre vers la fin [Attention Spoiler] qu’elle aussi a subi un traumatisme, pas le même, mais néanmoins a été blessée lorsqu’elle était une petite fille vulnérable.

Journaliste :
Pour vous, c’est ce qui crée un lien entre les deux personnages ?

Alice Krige :
Oui. Ce qui se passe, c’est que Desi a réagi totalement différemment à ce qui lui est arrivé. Elle répond au mal qu’on lui a fait en essayant de soulager le mal qui a été fait aux autres : elle est devenue infirmière. Sa patience et l’authenticité de son intérêt, l’empêchent de s’éloigner . Elle ne part que parce que Veronica lui l’ordonne, mais elle revient. Et je pense que sa présence et sa fidélité à cette gentillesse, doucement, presque imperceptiblement, vont apprendre à Veronica à faire à nouveau confiance. Et là où il y a de la confiance, il y a de l’espoir. Et elle donne ainsi à Veronica une chance d’aimer.

Et cela me touche beaucoup, d’autant plus qu’il s’agit d’une femme bien plus jeune. Voir une jeune femme tendre la main ainsi à une femme beaucoup plus âgée, en transformant sa vie, c’était très beau.

Journaliste :
Il y a aussi un sujet dans le film sur l’empowerment féminin. Dans les âges sombres, alors qu’elles étaient supposées être des sorcières, les femmes étaient pourchassées par les hommes qui cherchaient à les détruire. [Attention Spoilers] C’est un peu la même chose avec l’attitude du réalisateur à la fin. Comment réagissez-vous en tant qu’actrice qui est forcément désirée par un metteur en scène pour être dans son film, quant à cette question de votre propre pouvoir de femme ?

Alice Krige :
C’est une intéressante question… Ça ne répondra peut-être pas complètement à votre question : les notes de production disaient que Veronica trouvait sa vengeance dans les rêves. Personnellement, en ayant joué le rôle, je crois toujours que Veronica ne cherchait pas à se venger. [Attention Spoilers] Elle est très claire quand elle lui parle dans le bar à la fin. Elle dit « je veux la vérité », « je veux que tu vois ce que tu as fait » et donc « que tu t’avoues la vérité ». Il y a un moment où on croit qu’il va le faire. Mais il ne peut pas. Et ça le détruit, cette incapacité à dire la vérité… pour moi ce n’est donc pas un film de vengeance, cela traite de la capacité à dire la vérité.

Et votre question est très intéressante, on ne me l’a jamais posée auparavant. Comment je me sens d’être un « objet » de désir en tant qu’actrice (et que femme)... Par où commencer ? C’est une très belle chose lorsque réalisateur vous désire vraiment comme actrice pour un rôle. Et en même temps c’est absolument effrayant par ce que ça implique : que l’on doit accoucher de quelque chose. Ce que ça signifie vraiment pour moi, c’est que quelqu’un veut un échange créatif avec vous, et ressent qu’avec vous cela est possible. Et c’est la raison pour laquelle je fais ce métier : l’échange qui arrive dans un espace très sacré. Car à ce moment, toute l’équipe, participe à cet espace, en vue que quelque chose de mystérieux arrive… sur lequel on ne peut pas mettre des mots. Et si quelqu’un vous veut, c’est qu’il vous pense capable de participer à cette création.

Journaliste :
Est-ce que c’est du coup plus facile de travailler avec une réalisatrice qu’avec un réalisateur ?

Alice Krige :
Pour moi il n’y a absolument pas de différence. Ça a été vraiment merveilleux de travailler avec Charlotte. Je me suis sentie totalement connectée avec elle. Elle est à la fois énormément sympathique et empathique. Je l’ai sentie à mes côtés pendant tout le processus. Je lui ai demandée de me parler dès qu’elle en avait le besoin, sur ce qu’elle voyait, ce qu’elle ressentait. Et elle l’a fait… et cela a fonctionné comme un cordon ombilical.

Nous étions toutes les deux aussi très en connexion avec le directeur de la photographie, Jamie [Ramsay], qui a à la fois fait la lumière et la photo du film. C’était un peu comme un triangle. Il me suffisait de regarder les deux pour savoir si on devait refaire une prise, ou ce qui manquait… mais j’ai déjà eu le même type de connexion avec des réalisateurs masculins. Ça n’arrive cependant pas tout le temps, mais quand ça arrive c’est un vrai cadeau. On espère toujours ce genre de connexion supérieure, car ça se traduit dans un travail qui a une plus grande résonance.

Journaliste:
Il y a quelque chose de très organique dans ce film, avec la relation au sol, à la terre, à la boue… Même s’il y a des passages en images de synthèse, est-ce que cela a été facile de travailler avec le toucher, comme lorsque vous prenez la terre pour faire de la peinture... ? Lorsque vous marchez au bord du lac pieds nus ?

Alice Krige :
C’était très utile. Les coiffeurs et maquilleurs ont été très astucieux, ils m’ont mis du ruban adhésif sous la plante des pieds. Ainsi quand je marchais pieds nus dans la forêt, je ne me blessais pas… Mais le lieu où on a tourné était très proche de là où ont été brûlées les deux dernières sorcières, la mère et la fille, dont il est question dans le film… c’était dans les parages de ces contrées écossaises. Et Charlotte a introduit dans le film ce sens d’une influence cosmique, à un niveau micro et macro, avec toute la nature et la terre. Moi-même, je vis à l’écart dans un tout petit village, avec un ciel très sombre (quand il n’y a pas de nuages… et il y en a souvent [rires])… où on sent cette présence des étoiles qui passent… Et quand je suis loin longtemps, je sens que quelque chose m’a été retiré… Quand Desi la retrouve à l’orée de la forêt, en chemise de nuit, pieds nus, et qu’elle dit que « la douleur est partie »… cela me connecte de manière très étroite à cette histoire de femmes…

Journaliste :
Pour finir, quelle a été la scène la plus difficile à tourner pour vous ? [Attention Spoilers] La scène de lévitation ?

Alice Krige :
Je n’arrive pas vraiment à trouver une scène qui ait été plus difficile qu’une autre. [Attention Spoilers] Pour la scène de lévitation, ils devaient faire très attention à ne pas vous blesser avec les liens… Mais les cascadeurs ont tout bien vérifier plusieurs fois, tout en expliquant les détails…

J’ai aimé ce tournage. Parfois, être dans presque toutes les scènes, pendant 5 semaines, c’est très intense… Dans ma manière de travailler, je n’apprends pas mes dialogues la veille, je les connais déjà avant même d’arriver sur le tournage… pour ne pas avoir à me rappeler. Tout est déjà là. Si on a de la chance, quelque chose de merveilleux se produit, on arrête de penser, on est juste dans le moment. Et ce tournage s’est passé comme cela pour moi. On prie toujours pour que ça arrive. Mais on ne peut pas forcer cela. Mais parfois, ça arrive. Et du coup je n’ai pas trouvé ce tournage difficile. Ce fut très joyeux.

Olivier Bachelard Envoyer un message au rédacteur

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