INTERVIEW
MA PART DE GAULOIS
Adila Bendimerad et Abdallah Charki
actrice et acteurC’est lors du Festival de l’Alpe d’Huez 2024, où le film « Ma Part de Gaulois » était présenté, en l’absence de réalisateur, que ses interprètes, Adila Bendimerad et Abdallah Charki, ont accepté de répondre aux questions posées en duo par Laurence Salfati (Radio Judaïca Lyon) et Olivier Bachelard. Compte rendu de cet échange d’une quinzaine de minutes au salon presse du Palais de Congrès.
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Journaliste :
Vous connaissiez l'histoire de Magyd, avant d'avoir le scénario ? C'est-à-dire l'histoire publique et puis un petit peu de l'histoire personnelle ?
Adila Bendimerad :
Moi, je connaissais pas vraiment, mais je connaissais bien le groupe Zebda, c'est-à-dire tous leurs morceaux, leurs textes. Ça, oui, c'était très marquant. J'étais enfant... Ça correspondait même à l'année où je suis venue avec ma famille en France. Donc, c'était marrant de voir le titre Zebda, ça veut dire beurre, mais pourquoi ? On m'a expliqué les beurs, les rebeus, je connaissais pas.
Journaliste :
Est-ce que vous avez lu le livre pour appréhender vos rôles ?
Abdallah Charki :
Quand j'ai eu le casting de ce film-là, je me suis dit, ah ouais, là, il faut que je le fasse. J'ai acheté le livre, et j'avais une semaine pour le lire, parce que le casting était une semaine après. Je l'ai lu, et le livre m'a beaucoup touché. C'est un beau truc à défendre. Maintenant, on verra, on connaît les castings, on les passe et après, on sait jamais.
Journaliste :
Qu'est-ce qui vous a touché dans le livre ?
Abdallah Charki :
C'est son histoire, c'est sa façon de voir les choses... Parce qu'on peut penser qu'il dénonce une vie dans une rue, alors que pas du tout. Au contraire, il raconte ce qu'il a vécu, il raconte sa vie. Je trouve ça beau, d'avoir une telle sensibilité.
Journaliste :
Il y a des principes de mise en scène très forts, en fait. Moi, ce qui m'a intéressé, du coup, c'est à la fois tout ce jeu avec le décor, on passe d'une pièce à une autre, et c'est plus la même scène, on n'est plus avec la même personne... Il y a également, on change de pièce, on change carrément de lieu, avec un simple éclairage, alors qu'on traverse un couloir. Est-ce que tout ça, dans le scénario, c'était quelque chose que vous ressentiez ? Vous avez découvert ça sur le plateau, comment ça s'est passé ?
Adila Bendimerad :
Sur le scénario, c'était complètement invisible. On pouvait parfaitement s'imaginer un film tout à fait naturaliste, qui se passe en banlieue, avec une reconstitution du réel, puisque, en plus, Malik avait fait "Hexagone". Et petit à petit, Malik a complètement assumé cet univers, ce dispositif. Il l'a élaboré, au fur et à mesure, parfois, au fur et à mesure du tournage, et il l'a parfaitement assumé. Du coup, c'est très jouissif pour les acteurs, parce qu'on a des scènes un peu comme au théâtre.
C'est-à-dire, moi, je parle avec mes filles, ensuite, je cours derrière la caméra, je change de costume, je me replace... Mais ce n'est pas tout à fait comme au théâtre, parce que c'est un placement par rapport à une caméra qui va arriver, et techniquement, en plus, c'est compliqué à orchestrer. Et je trouvais ça très intéressant de nous sortir un petit peu de ce naturalisme et d'ouvrir un univers de fiction et de cinéma, et de poésie, finalement, à des sujets comme la banlieue, le milieu ouvrier. Je trouve que ça va bien au film, et Malik a sûrement des raisons poétiques, mais aussi une envie de raconter autrement, je pense. Il avait aussi de la fluidité.
Abdallah Charki :
Sur le tournage, on tournait tout en studio, et il y avait des situations incroyables, où on passait de la chambre à la salle de classe. Et nous, on fait ça directement. Ça veut dire qu'il y avait vraiment quelque chose à traiter. Par exemple, dans ma chambre, j'étais comme ça, je suis énervé, je suis Ko, et après, je me redresse d'un coup, j'arrive dans la classe. C'était un vrai travail. C'est un vrai challenge. On est tellement heureux de faire ça avec Adila, parce que ça change, c'est quelque chose d'original, de poétique, de passionnant.
Adila Bendimerad :
Et ça donne un côté jouissif pour l'acteur. Et je pense que ce côté jouissif est ressenti par le public aussi, parce qu'il y a les mécanismes de la fiction, de l'univers.
Journaliste :
Il y a ces espèces de travelling, ces plans-séquences, c'est vachement fluide dans l'histoire. Et finalement, c'est presque ça qui apporte le côté léger du film.
Adila Bendimerad :
C'est un univers Malik. Malik. Il a vraiment sa patte, on le sent. Moi, je l'ai vraiment sentie sur le tournage, j'ai appris beaucoup de choses sur le tournage.
Abdallah Charki :
Et même le jour même, il avait le scénario, et moi je ne savais pas ce que ça allait donner. Parce que le jour même, il était tout le temps dans des scènes différentes. Il dormait, il pensait à un truc... Les masques de Mitterrand, il a eu l'idée en dormant. Il s'est réveillé, et il a dit « J'ai une idée de fou, on va faire ça, mettre des masques sur tout le monde ».
Adila Bendimerad :
Il élabore son univers en direct avec nous, et c'est très enrichissant pour nous parce que vraiment, ce n'est pas standard. Ça nous permet aussi de ne pas être en sécurité, et en fait, c'est ça le travail d'acteur, c'est-à-dire qu'il va falloir avoir un peu de bravoure, entrer dans l'univers de quelqu'un Et c'est un plaisir de servir son univers, parce qu'on y croyait. Il nous a en plus injecté la croyance.
Journaliste :
Et du coup, vous pouviez vous apporter des choses aussi, dans ce cadre-là, en discussions avec lui ?
Abdallah Charki :
On était très à l'aise. Même si tu avais une idée de scène, il la prenait, il disait peut-être qu'on peut mélanger ça. Franchement, c'est très très bien d'avoir des réalisateurs comme ça qui nous écoutent. Malik il apporte une très grande importance aux acteurs, à ses acteurs. Et ça, ça nous met vraiment en confiance.
Journaliste :
C'est un film sur la relation de la mère avec son fils, qui se sacrifie, qui fait tout pour son fils, qui s'élève sur un plan social, et qui l'a fait devenir peut-être plus heureux que la grande partie de la cité. Comment est-ce que vous vous êtes approprié ce personnage ? Est-ce que vous aviez des règles de conduite ? Parce que votre personnage a une personnalité assez complexe et multi-facettes... Vous n'êtes jamais la même avec votre mari, avec vos autres enfants...
Adila Bendimerad :
Moi, c'est assez particulier, parce que je vis en Algérie. Je viens d'Algérie. J'ai immigré avec mes parents. J'avais 10 ans. Je ne connaissais pas la langue française. J'étais arabophone. Mais je connais bien cette histoire des mamans algériennes et de l'histoire de la scolarisation pour les enfants algériens. C'est quelque chose que je connais dans mon parcours, parce que je m'y intéresse, parce que j'écris aussi des scénarios. Et parce que ma grand-mère, parce que ma mère, parce que les femmes algériennes se sont beaucoup battues pour leurs enfants...
En fait, c'est assez révolutionnaire, ce qu'a fait cette femme, parce que c'est lié à une histoire ancienne qu'on ne connaît pas très bien. Les enfants algériens avant 1962, à l'époque de la colonisation, n'avaient pas accès à la même école que les enfants européens. Et leur éducation était limitée à compter et à lire, donc il n'y avait pas de grammaire. Et c'était pour les former, pour devenir la main-d’œuvre de l'empire colonial. En fait, le film raconte ça aussi. C'est assez profond, ce que ça raconte. C'est une histoire douloureuse pour nous. Et dès l'indépendance, les femmes en Algérie, et les pères aussi, il y a eu ce truc... « Il faut aller à la fac », parce que c'est une façon de s'affranchir, c'est une façon de gagner la liberté. C'est tout ce qu'on nous a interdit, donc c'est beaucoup de frustration. Et cette frustration, beaucoup de femmes l'ont mise sur leurs enfants.
Et quand l'émigration ouvrière, parce qu'il y a une autre émigration qui est celle des médecins, qui est venue plus tard, mais l'émigration ouvrière, quand elle arrive, il y a beaucoup de mamans qui ont essayé, justement, de casser ça. Et c'était pas simple. C'était vraiment pas simple, parce que le système scolaire envoyait les enfants automatiquement en CAP. Moi, je suis arrivée en France à l'âge de 10 ans, j'ai appris la langue française, et arrivée au lycée, j'ai voulu faire une hypokhâgne - khâgne, et mes parents ont été convoqués, parce qu'en fait, pour eux, j'étais Algérienne. Il y avait quand même ces a priori. J'ai fait ma prépa. Après, mes parents sont universitaires, et c'est une autre histoire.
Mais j'étais confrontée à ça, et mes parents aussi. Et c'est une histoire, en fait, entre la France et l'Algérie. Et du coup, moi, je pense que cette maman s'en rendait compte. Son père était juge, mais après, ils ont fait la guerre, donc il est mort, et elle, du coup, elle n'a ni appris à lire, ni à écrire. C'est révolutionnaire, en fait, c'est pas rien. Ce qu'il raconte Malik, c'est quand même une histoire importante entre l'Algérie, la France, et la question de l'émigration. Et c'est important de prendre conscience de ça. Parce que tout n'arrive pas comme ça. On est héritiers de tout ça, face à nos jeunes.
Donc, quand j'ai lu le scénario, je l'ai senti très lié à mon histoire. Donc, j'ai compris l'enjeu. Je ne l'ai pas fait juste parce que c'était cool, et sympa, et émouvant, et universel. Et si, je peux faire des films comme ça, mais cela était particulièrement important.
Journaliste :
Il y a une connotation aussi politique, parce qu'on voit aussi Mitterrand, et quand on connaît un peu l'histoire, il y a des choses qui sont rarement dites comme dans le film...
Adila Bendimerad :
Moi, j'ai été hyper surprise par l'histoire de Mitterrand, parce que, pour moi, Mitterrand, pour ma génération, et sa génération (même si toi, tu es venu après), l'arrivée de Mitterrand, c'est la gauche. Et donc, c'est bien. Mais en Algérie, en fait... avec le film, j'ai appris qu'il y a des zones d'ombre. Et du coup, ça révèle le trauma chez les papas. Et apparemment, c'est vrai, ça s'est passé comme ça. Il a même noté qu'il y a des gens qui ont pris leurs bagages. C'est des traumatismes.
Abdallah Charki :
Le trauma se fait ressentir avec la mise en scène.
Adila Bendimerad :
Mais en même temps, c'est drôle. C'est vraiment drôle. Du coup, ça permet quand même de réparer tout ça. C'est important d'être drôle.
Journaliste :
Mais du coup, il y a aussi... le fait de montrer une autre image d'un quartier. Et notamment, la solidarité entre les mères. Elle passe par cette formidable idée du balcon. Parce que ça revient toujours là-dessus. Il y a moins finalement de solidarité entre les jeunes, même si à la fin, l'ami se réveille. Il revient. Mais ces scènes du balcon, comment vous les avez vécues ?
Adila Bendimerad :
Alors, c'est vrai que la scène du balcon, elle m'a paru évidente au début. Mais entre toutes les voisines, la voisine portugaise, la voisine algérienne... c'était assez émouvant. Mais le voir tout à l'heure, j'ai pleuré. Je l'ai trouvé très émouvante. Et encore une fois, ça me rappelle la solidarité entre femmes : entre les tantes, les voisines. Ça fait écho à une vraie histoire de famille, de solidarité, de tisser des liens. Et aussi de "ton fils, c'est mon fils".
Il y a ça aussi dans notre culture. Quand le meilleur ami arrive, elle dit "mon fils". Parce qu'en fait, elle parle du meilleur ami de son fils. C'est émouvant, mais c'est ici. Et c'est la force de la représentation. Se voir représenté comme ça, on le vit, donc tout est normal. Mais quand on se voit, du coup, c'est important au cinéma.
Journaliste :
Et il y a cette idée de vivre ensemble, justement, avec toutes ces femmes. On a l'impression qu'il n'y a pas de porte entre chez l'une et chez l'autre. Les enfants des unes, sont les enfants des autres.
Adila Bendimerad :
C'est le quartier populaire, ça.
Journaliste :
C'est une belle manière de terminer cette interview ? Merci beaucoup. Merci à vous, ça a été un plaisir.