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INTERVIEW

PRECIOUS

Après un accueil très chaleureux et gorgé d’émotions pour son premier film « Precious », Lee Daniels se livre, encore très emprunt de la réaction du public. Rencontre avec ce réalisateur à fleur de peau.

Journaliste :
Quel accueil ! J’ai vu votre film à Deauville et à …

© ARP Sélection

Après un accueil très chaleureux et gorgé d’émotions pour son premier film « Precious », Lee Daniels se livre, encore très emprunt de la réaction du public. Rencontre avec ce réalisateur à fleur de peau.

Journaliste :
Quel accueil ! J’ai vu votre film à Deauville et à Cannes et j’ai pu constater à quel point votre film touche énormément de personnes. Je tiens à vous dire bravo. Il y a un mélange des genres dans votre film. Vous alternez des extrêmement scènes difficiles avec du rêve et du fantasme. Expliquez-nous la raison de ce choix.

Lee Daniels :
Cette expérience à Deauville fut exceptionnelle pour moi. Vous savez, lorsque j’étais à Cannes, nous étions en France, mais il y avait des gens du monde entier dans la salle. J’ai eu le sentiment que la salle était remplie de citoyens du monde, des gens ordinaires, et je fus très touché que des spectateurs du monde entier soient bouleversés par le film.
Sinon, pour répondre à votre question, il s’agit d’une histoire très douloureuse et dure et si je restais sur son coté sombre, je ne pourrais qu’en tirer de la douleur. Alors plutôt que d’aller dans ce sens, j’ai essayé, chaque fois qu’il était possible, de provoquer le rire ou le sourire. Ainsi, on devrait pourvoir regarder le film et ressentir de la peur, de la tristesse mais aussi l’envie de rire. En fait, ce film devait être semblable à des montagnes russes émotionnelles. J’ai donc demandé aux acteurs de trouver l’humour partout où il leur en était possible, même pendant les situations qu’ils ne pensaient pas appropriées. Riez, car le rire éradique la douleur.

Journaliste :
Votre film est basé sur un roman (NDR : « Push » de Sapphire). Comment avez-vous découvert ce livre et comment s’est déroulé le processus d’adaptation ?

Lee Daniels :
Il s’agit d’un roman très populaire à Harlem et dans les ghettos noirs d’Amérique, en général. J’étais en train de produire « Monster’s ball » quand mon cousin me l’a offert. A la lecture, j’en étais vraiment bouleversé. C’était comme si quelqu’un m’avait éclaté le crâne au marteau. Toutes ces émotions entremêlées, c’était aussi dévastateur qu’un tsunami. Une semaine plus tard, j’ai contacté l’écrivain pour une adaptation cinématographique, et elle était à priori réticente à cette idée. Elle préférait que son livre reste un livre. Cela dit, j’ai insisté pendant huit ans et elle a finalement cédé.

L’adaptation elle-même fut un véritable challenge. Le roman est bien plus sombre et cruel que le film. J’ai choisi d’utiliser le fantasme et le rêve à travers les yeux de Precious bien plus que dans l’œuvre originale. J’ai choisi ce parti-pris d’abord pour des critères de classement, car je savais que s’il était interdit aux moins de 16 aux USA, personne ne verrait le film. Ensuite, c’est aussi parce que je pense que lorsque des choses désagréables nous arrivent, on a tendance à s’évader en se réfugiant dans un monde fantasmé.

Journaliste :
Votre film a été soutenu par Oprah Winfrey, qui est l'une des femmes les plus influentes de la communauté noire et des Etats Unis en général. Comment est-elle arrivée sur ce projet?

Lee Daniels :
J’ai donné le film à Oprah Winfrey dès la fin du montage car je pensais qu’au-delà de sa figure publique très influente, elle comprendrait tout particulièrement le sujet. Mais à cette époque, elle était très occupée à travailler pour la campagne d’Obama. Elle ne la finalement vu qu’à sa présentation au festival de Sundance. C’est très cocasse, car au moment de la remise des prix du festival, mon téléphone a sonné et il s’agissait d’un appel inconnu. Lorsque j’ai décroché, une voix s'est présentée en tant qu’Oprah Winfrey et, sur le coup, j’ai pensé qu’il s’agissait d’une blague. Jusqu’au moment où elle m'a confié qu’elle avait beaucoup aimé le film. J’ai vraiment été très honoré qu’Oprah décide de soutenir ce film car, quelque part, j’ai réalisé ce film pour des gens qui peuvent se mettre à la place de Precious, et je pense sincèrement qu’elle fait partie de ces gens-là.

Journaliste :
On ne fait pas un film si convaincant sur l’enfance martyrisée si l’on n’a pas été soi-même témoin de ce genre de violence. Est-ce le cas en ce qui vous concerne ?

Lee Daniels :
Je pense avoir été témoin de ce type de comportement. Quand j’avais onze ans, il y’avait une fille de cinq ou six ans qui vivait en face de chez moi. Un jour, à trois heure de l’après-midi, elle est venue toquer à ma porte, complètement nue. Elle se protégeait ses parties intimes et me répétait « Ma mère va me tuer ». Elle était effrayée et avait plusieurs contusions. Elle avait de toute évidence été battue. A la lecture de « Push », j’ai ressenti à peu près les mêmes émotions qu’alors. C’est effroyable, car on sait que cette petite va retourner chez elle, chez cette mère qui l’a maltraite. De plus, à l’époque en Amérique, les services sociaux ne protégeaient pas les enfants comme aujourd’hui. Les enfants n’avaient aucun droit.

Je ne sais si cette fille est toujours en vie, si elle va bien, mais je lui dédie vraiment mon film car ce fut une expérience vraiment bouleversante. D’ailleurs pour moi, « Precious » n’est pas seulement un film. Je connais beaucoup de Precious, j’en ai côtoyé beaucoup durant mon enfance et c’est pour eux que j’ai réalisé ce film.

Journaliste :
Pourquoi avoir choisi des célébrités telles que Mariah Carey pour interpréter des rôles ?

Lee Daniels :
Avant de faire ce film, je me suis intéressé aux statistiques concernant les abus sexuels sur mineurs, et il s’avère qu’un enfant sur quatre est victime d’abus. Un sur quatre. On parle là, des chiffres officiels, reportés par la police. Comme je l’ai dit précédemment, j’ai fait ce film pour tous ces enfants physiquement ou sexuellement agressés. Mariah Carey et Lenny Kravitz sont tous deux mes amis et même s'ils n'ont pas eux-mêmes subis d'abus, tous deux comprennent les situations que ces enfants endurent. Ils sont aussi conscient des impacts que ça a sur leur vie. Ils ont joué dans ce film gratuitement, car ce projet leurs étaient vraiment cher et je leurs en remercie, puisque leurs contributions furent fructueuses.

Journaliste :
Mis à par les célébrités, est-il possible d'en savoir un peu plus sur le reste du casting. Comment avez-vous choisi vos acteurs ? Est-ce que certains sont vos amis, dont vous saviez qu'ils avaient vécu des situations similaires qui les aideraient à interpréter de tels rôles?

Lee Daniels :
J'aime travailler avec mes amis, les gens qui me comprennent, me fond confiance, avec qui je partage les mêmes idées. En fait, je vois le travail comme un jeu. Nous nous amusons sur un plateau comme des enfants sur un terrain de jeu et si tu n’es pas mon ami, alors tu ne joues pas avec moi. Nous ne faisons pas de répétitions à proprement parler. Nous discutons, à propos de sexe, de nourriture, de littérature, de politique, des potins d’Hollywood... de tout, en fait ! Et c’est grâce à ces discussions préalables que nous ne faisons plus qu’un au moment du tournage. A cet instant, ce ne sont plus des comédiens, ce sont des amis.

D’ailleurs, ma direction d’acteurs est très primale. Je parle très peu avec mes acteurs une fois sur le plateau. Quasiment tout passe par le non-verbal.

Mo'Nique, qui joue la mère dans le film, est une actrice extrêmement populaire aux Etats-Unis. Elle a joué sur le précédent film que je produisais, « Shadow Boxer ». Paula Patton, qui joue l’institutrice, est une amie également.
Gaby, par contre, je ne la connaissais pas. C’est avec la directrice de casting que nous l’avons découverte. Nous avions auditionné plus de cinq cent filles, et Gaby nous a simplement produit un excellent jeu. J’ai su à ce moment que je tenais la fille parfaite pour incarner Precious. C’est son premier film, tout comme les filles qui jouent les camarades de classe. On a beaucoup discuté ensemble pour que la confiance s’installe.

Alexandre Romanazzi Envoyer un message au rédacteur

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