Bannière Reflets du cinéma Ibérique et latino américain 2024

INTERVIEW

PERSEPOLIS

© Diaphana Films

Abusdecine perse les secrets de « Persepolis »

Son grain de beauté est bien là, ses grands yeux noirs aussi ! Marjane Satrapi, LA Marji de la BD et du film « Persepolis », est face aux journalistes pour s’entretenir avec eux de la sortie en salles de son film d’animation, film événement du festival de Cannes 2007. Celle qui voulait être Prophète, celle qui est devenue dessinatrice et réalisatrice, celle qui est née en Iran, celle qui a été adoptée par la France, celle qui s’est perdue en Autriche, celle qui revit à Téhéran, se confie sur les origines de son œuvre, sa longue et harassante création et le fantastique accueil qu’elle a eu à Cannes avant, nous le souhaitons, de rencontrer son public en salles.

Passer de la BD au cinéma
Ne croyez pas qu’adapter une bande dessinée au cinéma ne revient qu’à animer des cases qui se succèdent à l’origine sur une page. Marjane Satrapi rappelle qu’une BD n’est en rien un story-board de film. Ce sont deux styles de narration bien distincts. Ainsi, pour « Persepolis », il a fallu réécrire l’histoire, trouver une ouverture, inventer un fil narratif, intégrer de la couleur, faire vivre plus de 600 personnages animés… Le tout a représenté un labeur de trois ans et un investissement de 6 millions d’euros (un budget important mais classique pour un film d’animation). « Mais l’investissement, précise également Marjane, il en a été de notre personne ! Nous travaillions tous les jours de la semaine même les week-ends. Et la magie qui s’est créée avec les 90 personnes de l’équipe a fait qu’eux aussi sont venus travailler les week-ends ! Ça reste une très bonne expérience ! Avec Vincent Paronnaud, il n’y a eu aucune dispute en trois ans ! » Trois ans pour faire vivre en animation le destin de la petite Marji que les Français ont pu découvrir en bande dessinée. Et à la question : « Est-ce que ça vous stimule pour faire d’autres films ? » Marjane répond : « C’était très jouissif, mais c’est un travail très long, alors pas avant quinze ans ! »

De la peur bleue à la Palme d’or
Produire « Persepolis », malgré le succès des BD de Marjane Satrapi, demandait beaucoup de courage. Ni le fait que le dessin animé s’adressait à des adultes, ni le fait qu’il soit à 90 % en noir et blanc, ni même que l’histoire traite d’une jeune iranienne n’a freiné un duo de producteurs qui presque les yeux fermés se sont lancés dans l’aventure « Persepolis ».Qui plus est, il s’agit de leur première production cinématographique : coup de chapeau à Marc-Antoine Robert et Xavier Rigault ! Mais comment ont-ils pu y croire à ce point ? L’originalité du projet, l’intention de Marjane et de Vincent Paronnaud les a immédiatement convaincu. « Et quand, en plus, souligne Marjane, on nous a dit qu’on avait été sélectionné au festival de Cannes, ça nous a donné du courage pour le film car on le finissait à ce moment-là ! » Une projection cannoise qui s’est soldée par une standing ovation de 15 minutes et surtout un prix, celui du Jury. « C’était juste incroyable qu’on finisse dans le palmarès, ce qu’on peut dire, c’est juste qu’on est très contents ! » raconte Marjane encore visiblement très émue par cette reconnaissance.

Petit retour en arrière
Marjane Satrapi est née en Iran, en 1969. Elle grandit à Téhéran où elle étudie au lycée français. Les tensions dans son pays conduisent ses parents à l’envoyer continuer ses études en Autriche avant un retour aux sources et un exil définitif en France. En arrivant successivement sur ces deux terres d’accueil, Marjane est continuellement questionnée sur ses origines : « On me demandait « Vous venez d’où ? », se souvient-elle, c’était LA question qui revenait sans cesse. Expliquer mon parcours était long et pénible surtout que cela soulevait des jugements, j’ai donc décidé de l’écrire sous la forme d’une bande dessinée. » Elle s’exprimait, en effet, face à des personnes qui la croyaient appartenir à un peuple tyrannique sans se douter une seconde que les premières victimes de l’intégrisme était le peuple iranien lui-même. Ce n’était pas le choc des cultures, c’était le choc des non-cultures ! Son premier objectif était donc de combattre l’ignorance.

Avec ses cases et ses bulles, elle aspirait à humaniser ses « frères » et ses « sœurs » et à restaurer la grandeur de son pays que tout un chacun lui désignait comme une terre de guerre, de barbus et de répression culturelle. L’écriture de ses livres, de son histoire, s’est alors imposée à elle. « Si je l’ai écrit en français, c’est parce que je l’ai écrit POUR les Français ! Je voulais apporter une réponse aux Français qui ne comprenaient pas la situation de l’Iran et pour qu’ils me comprennent quoi de plus naturel que de m’exprimer dans leur langue ! » Pour Marjane, qui se considère comme une piètre écrivaine, la BD s’est trouvée être le meilleur moyen d’expression qu’elle pouvait utiliser. Il faut dire qu’en Iran, elle a suivi des études artistiques (dans des conditions parfois difficile : allez apprendre à dessiner l’anatomie d’un corps quand on vous présente un modèle entièrement revêtu d’une tunique de la tête aux pieds). Le noir et blanc s’est également rapidement imposé, venant elle-même de la BD dite indépendante. « Mais ne dites pas que mon film est en noir et blanc : c’est un film en couleurs avec 1 h 33 de noir et blanc et 2 minutes de couleurs ! ».

Son rapport à la France et aux Français
Marjane Satrapi s’est installée en France en 1994, à l’âge de 25 ans. « J’ai été très bien accueillie et je n’oublierai jamais que j’ai été naturalisée grâce à Jack Lang. J’avoue que la tournure que prennent les choses [dans le contexte politique actuel, ndlr] me fait peur : l’immigration choisie, l’identité nationale, la France qui n’est pas un « eldorado ». Croyez-vous que j’aurai été choisie ? Moi Iranienne, sans emploi, n’ayant jamais mis les pieds en France auparavant ? » Mais son amour pour notre pays est sans conteste : « J’adore les Français et la France qui pour moi est un pays qui signifie quelque chose et qui a des valeurs. La France est reconnue pour sa culture et quand les Français partent à l’étranger, ils goûtent la nourriture, écoutent la musique, apprennent…: je salue l’ouverture du peuple français. »
Revenant sur son exil en Autriche, Marjane se remémore : « C’était dur à cette époque parce que mes parents étaient loin et surtout, moi, j’étais en pleine adolescence, un âge vraiment ingrat ! Aujourd’hui, j’ai fait la paix avec l’Autriche, j’aime la ville de Vienne et les escalopes viennoises ! » plaisante-t-elle !

Réactions iraniennes face à « Persepolis »
A la sortie de la bande dessinée, les premiers volumes imprimés en Iran ont fini dans les ambassades et chez les parents de Marjane Satrapi ! « Quand mon père a découvert ce qui m’était arrivée en Autriche, il a fondu en larmes. Le cœur de ma mère s’est mis à battre très très fort, quatorze ans après, leur réaction a été si violente que j’étais vraiment soulagée de ne pas leur avoir tout dit à l’époque ! »

Les échos chez les mollahs de Téhéran ne se font pas bien attendre non plus. Ils y voient une « islamophobie occidentale ». Marjane s’en défend : « Je ne fais pas de révélation, je ne juge personne, je n’oppose pas des bons et des méchants et je n’encense pas l’Occident. Je respecte toutes les religions et les pratiques religieuses, pourtant je suis loin d’être moi-même religieuse ! Je déteste les polémiques. » Avant de rappeler que dans son histoire « la personne qui commet l’acte le plus odieux c’est celle qui vend à la police le jeune innocent sur les marches et cet acte c’est moi qui le commets. »

Plus que de pointer du doigt la République islamique, Marjane et Vincent ont d’abord voulu faire un film avec des propos universels car pour eux on ne le répètera jamais assez : Paix, Amour, Tolérance et Liberté sont des valeurs fondamentales auxquelles chacun mérite d’aspirer.

Mathieu Payan Envoyer un message au rédacteur

À LIRE ÉGALEMENT