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INTERVIEW

DEAD MAN TALKING

C’est à l’occasion de la sortie de son premier long-métrage, « Dead man talking », que nous avons pu rencontrer Patrick Ridremont, accompagné de l’acteur Jean-Luc Couchard. Les deux Belges ont alors accepté de nous révéler les petits secrets de fabrication de cette réalisation atyp…

© Atypik Films

C’est à l’occasion de la sortie de son premier long-métrage, « Dead man talking », que nous avons pu rencontrer Patrick Ridremont, accompagné de l’acteur Jean-Luc Couchard. Les deux Belges ont alors accepté de nous révéler les petits secrets de fabrication de cette réalisation atypique, entre drame et burlesque. Une manière également de discuter des différents thèmes qui parcourent le film. Et un Belge n’a jamais la langue dans sa poche !

Journaliste :
Quelle est la genèse du scénario ?

Patrick Ridremont :
Écrire des histoires, c’est toujours quelque chose que j’ai aimé. Depuis que j’ai eu mon premier enfant, et même avant, je racontais des histoires. Et vous savez, lorsqu’on raconte des histoires à des gosses, c’est rarement des histoires sur des gens qui doivent payer leurs impôts, qui sont au chômage… Ce sont rarement des histoires sociales, il y a toujours des dragons et des fées. Et moi, dans tout ce que j’ai écrit, il y a toujours quelque chose de fabuleux, dans le sens de la fable. Lorsqu’il m’a été donné l’occasion de réaliser un long-métrage, il m’aurait été impossible de raconter une histoire normale, se déroulant dans le commun des mortels. Je viens aussi du théâtre, et au théâtre, il y a une chose très plaisante, c’est qu’on aime réinventer le temps et le lieu. Une pièce de théâtre, c’est assez intemporel. Et cette histoire, la première fois que j’ai voulu la raconter, c’était lors de mes 33 ans, l’âge du Christ me disait-on, je me suis alors dit pourquoi ne pas faire l’histoire d’un Christ moderne, un condamné à mort sur une croix qui se met à raconter des histoires, et plus il en raconte, plus il a de disciples. Il se rendrait également compte que sa parole pourrait le sauver. Et voilà, c’est vraiment ça ! Un mélange de mon âge, de Shéhérazade, et aussi d’un film que j’avais vu quelques années auparavant, « Monsieur Smith au Sénat », avec Jim Stewart, où un sénateur parle sans discontinuité pour faire voter une loi.

Journaliste :
Vous a-t-on beaucoup parlé de cette dimension christique ?

Patrick Ridremont :
Oui, bien sûr ! Le film est truffé de références christiques, le producteur s’appelle Godwin, un Dieu vainqueur, qui insiste pour qu’on l’appelle God. Certains trouvent peut-être drôle l’abréviation God, parce que ça fait penser à « godemichet », mais c’était surtout une référence à Dieu. Et l’une des dernières répliques du gars est : « Tu vois God, je ne t’ai pas abandonné ». Il y a aussi la croix, l’ange, la visite au paradis, enfin cette espèce de mort imminente, le point de vue du prêtre.

Journaliste :
Au niveau de la gestation du scénario, y a-t-il eu beaucoup d’évolutions ?

Patrick Ridremont :
Oui, et les principales évolutions viennent des périodes durant lesquelles je n’écris pas. J’ai écrit un court-métrage assez long dans un rush, quasiment juste pour le plaisir d’écrire, mais déjà tous les personnages sont là, sauf que je suis plus jeune, et la fille du directeur est un peu plus vieille. D’ailleurs, il y a une embrouille, parce qu’elle se retrouve enceinte un peu mystérieusement. Et ça me fait marrer, je ferme l’ordinateur, et voilà, le document reste là. Et cinq ans plus tard, je reprends le fichier, et c’est là qu’il y a eu une gestation énorme dans ma vie. Je ressors ça, j’ai 38 ans, et ce que j’avais planté a germé, c’est-à-dire les doutes, l’existentialisme, les rapports aux enfants. Je suis à l’aube de la quarantaine, et je vois également des choses que je n’avais pas mises à l’époque. Cette gestation est énorme, mais dans le silence ; c’est quelque chose de typiquement belge. Il faut savoir qu’on a inventé plein de choses, mais toujours sans faire exprès [rires]. C’est le cas par exemple des endives.

Après, il y a eu plein de versions du métrage, il y avait une version de 3h30, à un moment donné, je montrais tout le monde regarder le « Dead man talking show » dans les bars, les restaurants. Il y avait même des actrices qui venaient dans la salle d’exécution, parce que ça devenait « Desperate Housewifes ». Il y a eu des dizaines de versions, mais on s’est égaré. On expérimente, on va voir ailleurs, mais ce n’est pas la peine de chercher si longtemps, j’avais déjà tout dès le début : le texte et les personnages de base, le producteur. C’est quand même bien d’aller explorer, car de ces versions, j’ai pu récupérer quelques lignes, quelques scènes que j’ai conservées dans mon scénario final. Je sais que je ne pourrais pas le faire une deuxième fois, au vu des années de travail.

Journaliste :
Pour votre premier film, était-il nécessaire que celui-ci soit très écrit ?

Patrick Ridremont :
Oui, il y a zéro improvisation. Je viens avant tout du théâtre, la ligue d’improvisation fut un exutoire pour moi, parce que je pouvais faire des blagues pourries dans une patinoire déguisée en chewing-gum. Mais j’ai toujours respecté les auteurs, je n’ai jamais trouvé fascinant quelqu’un qui revenait dans les coulisses en rigolant d’avoir sauté deux pages. Je suis pour le respect du texte total parce que c’est la seule chose dont on est sûr ! On n’est pas sûr de son talent, de la quantité de spectateurs, de sa santé… La base fondamentale, c’est le texte de l’auteur. Je n’étais sûr de rien, ni de mes qualités de réalisateurs ni de celles de comédien, mais j’étais sûr d’une chose : mon texte. J’avais la prétention de penser que j’écrivais mieux, comme auteur, que chacun des comédiens qui allait devoir se mettre ces mots en bouche. Il était donc impossible d’improviser et de dire autre chose que le texte.

Journaliste :
Et est-ce que vous avez pensé ne pas jouer dans votre film ?

Patrick Ridremont :
J’ai toujours pensé que je devais être au moins réalisateur, ou au moins acteur, parce que je n’avais jamais fait ni film ni court-métrage avant, et dans l’esprit de mon producteur, ce pouvait être une complication supplémentaire. Au début, je voulais jouer, j’étais d’accord pour laisser la direction à quelqu’un d’autre. Mais plus on est investi, plus on fait des notes d’intention, plus on en parle, qui plus est si on est auteur du film. Et finalement, il devient impossible de nous retirer la réalisation. À la fin, j’étais d’accord pour donner le rôle principal à quelqu’un d’autre, mais ça ne s’est pas fait.

Journaliste :
Pourquoi François Berléand ?

Patrick Ridremont :
À un moment donné, mon producteur français vient me voir pour me dire que ce serait bien d’avoir un acteur français afin de faciliter la distribution du film. Je lui réponds que cela peut être envisagé, et je lui demande alors quel rôle voit-il pour un français. Il me dit : le directeur de la prison. Alors là, je pense à François Berléand. Il lui envoie le texte, et deux jours après, Berléand nous appelle pour nous dire qu’il a adoré le scénario. Il a accepté immédiatement, mais c’est un film où on ne sait pas vraiment qui a le premier rôle, c’est une partition assez collégiale. C’est huit personnages centraux, dont le pôle dans la prison, composé du gardien, du condamné à mort, du directeur, et du curé, est un peu plus conséquent. Mais c’était une volonté de ma part d’essayer d’attirer des acteurs par la qualité de leur texte, de leur personnage. Ces personnages sont sans compromis, on va extrêmement loin dans la méchanceté, dans la bêtise, dans la douceur avec cette jeune fille.

Journaliste :
Comment vous définiriez-vous en tant que réalisateur ?

Patrick Ridremont :
Réaliser un film, c’est ne pas faire le boulot des autres ! C’est laisser les autres faire leur boulot, et leur expliquer que le ciel n’est pas une limite. Diriger un chef opérateur, c’est parler avec lui, en français, des sentiments qu’on souhaite que son plan inspire : voyeurisme, colère, peur… Mais ce n’est pas lui dire « focale de 50 », « travelling circulaire ». À la fin, je maîtrisais la technique, je sais exactement comment on raconte une angoisse, je comprends un travelling. Mais c’est comme si on me demandait si je maîtrise aussi bien la recette de la sauce bolognaise que la cuisinière qui l’a faite pour deux cents personnes. Bien évidemment que non ! Tout ce que je sais, c’est qu’il faut qu’ils mangent, je vais alors lui dire qu’il faut des sucres lents, elle va me répondre de faire des pâtes, et je vais lui dire que c’est super, mais je ne vais pas lui dire comment tourner la cuillère. Mon chef opérateur en sait beaucoup plus que moi sur la lumière, mais il sait même beaucoup plus que Steven Spielberg sur la lumière, et ça doit être insupportable pour un chef opérateur d’avoir un réalisateur qui lui parle technique. Mon inexpérience était donc un avantage, il s’est senti pousser des ailes, et il est allé très loin. Vous pouvez regarder la filmographie de chef opérateur, aucun de ses films n’a de ciel orangé… On a déliré ensemble ! C’était à lui de faire le travail. Évidemment, j’ai fait un dossier artistique assez conséquent, avec des images, des mots, des paroles, et c’était à eux de comprendre ce que je voulais pour la lumière, mais également pour les décors etc. Quand je parle à ma décoratrice, je lui dis que ça peut faire bande dessinée, qu’il ne faut pas qu’elle ait peur d’une certaine théâtralité. Ça peut faire carton-pâte, ça ne me dérange pas. Par exemple, lorsqu’elle m’a demandé combien on faisait de cellules, je lui ai répondu une seule étant donné qu’il n’y a qu’un seul prisonnier. Elle trouvait que ça faisait bizarre mais c’était logique pour moi, je ne veux pas qu’on montre la maison des voisins du gouverneur, si ceux-ci ne parlent pas. Chaque élément dans le film sert au film. Et à un moment donné, elle comprend les codes, ce que je veux raconter, et elle transcende ce que je veux dire. Idem pour les costumes.

Journaliste :
Jean-Luc Couchard, comment est Patrick Ridremont en tant que réalisateur ?

Jean-Luc Couchard :
Il laisse beaucoup de liberté aux acteurs, il nous éclaire sur la façon de faire, mais on reste assez libre dans nos attitudes, nos mouvements. Au niveau du texte, par contre, il est très pointilleux. Et moi qui aie l’habitude d’improviser parfois, il m’arrêtait pour dire que je ne pouvais pas. Mais c’est dans le bon sens du terme ; à un moment donné, ça permet à la fable de rester droite et cohérente. On tournait en 35 millimètres, donc la prise était sacrée.

Patrick Ridremont :
Oui, ce n’était pas le moment de s’amuser devant la caméra pendant des lustres, je coupais dès la moindre erreur. Je crois qu’on a une moyenne de trois prises par scène. Les acteurs étaient tous très très bons. Ils étaient exceptionnels.

Journaliste :
Patrick, quelles sont vos inspirations pour l’univers ?

Patrick Ridremont :
L’univers est une résultante de plusieurs éléments. Au moment où j’écris, je ne suis pas dans cet univers-là. On aurait pu aller dans une prison avec du fil électrique, plus moderne. Mais à un moment donné, l’univers est la résultante du développement de chaque poste, à savoir, la ligne claire pour les costumes, un vêtement par personnage. Je veux qu’un enfant comprenne ! Je veux qu’un gosse comprenne immédiatement qui est le curé, qui est le méchant. Pour les décors, je ne veux rien d’autre, je ne veux montrer que ce qui existe pour le film. Je me suis interdit de montrer des écrans plasma, des GSM, je ne veux pas voir les gens chez eux en train de regarder le show. La ville vient à la prison, ce n’est pas la peine de montrer, comme dans « The Truman Show » des gens dans des bars ou des choses comme ceci. Je voulais une unité de lieu, me détacher de ce réflexe de penser que la peine de mort, c’est en Amérique. Ça m’énerve, parce que ce n’est pas qu’en Amérique ! Ça peut être en Arabie Saoudite, et dans ce monde-là, celui de mon film.

Journaliste :
Vous avez toujours pensé à faire ce mélange des genres ?

Patrick Ridremont :
Bien sûr ! Mais ce mélange des genres ressemble à la vie. Le cinéma, surtout le cinéma belge, possède une forte part de social, et parce qu’on va mourir, on se lève mourant. La vérité, c’est que dans ma vie, les gens qui ont disparu, qui me manquent, je faisais la fête avec eux… Je donne tout le temps le même exemple, vous avez un homme dans un hôpital, ensanglanté, trois doigts en moins, et de la poudre sur lui, un 1er janvier. Il a probablement fait un feu d’artifice, et il est pianiste virtuose. C’est un drame total donc, vingt-cinq ans d’entraînements explosés dans un feu d’artifice pour amuser les enfants. Pour moi, c’est ça le drame. Ses enfants l’aiment, il va bien, puis moins bien, c’est une alternance de ça. Un certain cinéma belge voudrait que lorsque le gars se relève, il marche sur une punaise, se retourne vers sa femme qui n’est plus là, voit un mot qui dit qu’elle est partie, il descend, on lui a coupé l’électricité, sa voiture est sur une dépanneuse. Il appelle ses enfants mais le téléphone ne fonctionne plus. Alors vous êtes sûrs qu’à la fin, lorsqu’il va allumer les feux d’artifices pour ses enfants, il va lui arriver quelque chose. Et ça, ce n’est pas mon cinéma ! Et je ne sais pas si vous avez remarqué, mais dans mon film, l’humour vient souvent ponctuer les situations les plus douloureuses.

Journaliste :
Justement, Jean-Luc Couchard, votre personnage est très difficile à jouer, parce que c’est lui qui distille cette dose de burlesque dans ce cadre dramatique.

Jean-Luc Couchard :
En effet, mais ce n’est pas seulement de l’absurde, ça révèle tout ce qui se cache derrière le politique. On passe du rire aux larmes en permanence. On s’intéresse à tout ce qui se cache derrière la chose politique, il y a notamment cette scène, où je suis devant Patrick, à faire de grands discours tandis que lui me regarde.

Patrick Ridremont :
Il y a quand même une scène où l’homme politique déclare que cet homme est vivant parce qu’il y a la loi et qu’il faut la respecter, en attendant de pouvoir la changer. Et au début, Jean-Luc [Couchard] disait la fin tout doucement, et je lui ai dit non, vas-y à fond, n’hésite pas à insister sur le « en attendant de pouvoir changer la loi » ! Parce que c’est ça le cynisme absolu des en***** qui nous gouvernent, si on nous dit fort qu’on va nous en*****, c’est de la démocratie. Au moins, on ne pourra pas dire que ce monsieur était honnête, il nous avait prévenus. Ce personnage est bien de l’ordre burlesque, mais il est le mélange de Bush, Berlusconi, et bunga bunga…

Journaliste :
Derrière ce long-métrage se cache une vision très critique de la société, non ?

Patrick Ridremont :
C’est vrai, on peut y avoir une critique de la télé-réalité, de la tendance au voyeurisme. C’est une vision très cruelle, mais je suis absolument fasciné par le voyeurisme. TFI qui fait des émissions style « Les anges de la télé-réalité » ne me dérange pas, ce qui me fascine, ce sont les gens qui vont regarder. Je m’interroge plus sur les spectateurs que sur les créateurs de ce type de show. Il n’y a aucun jugement de valeur sur les gens qui regardent le sort de ce condamné, ils sont juste là. Mais ils sont toujours filmés de dos, dans le noir, on ne voit jamais leur visage. C’est une masse informe, et ce n’est que lorsque le mec prend du produit pour la première fois qu’on a un contre-champ, et qu’on se rend compte que ce sont des humains. Il y a une critique de ça, mais il y aussi une critique par rapport au pouvoir, au cynisme et à l’impunité de ceux qui nous dirigent. Mais il ne faut pas oublier non plus que lorsqu’on écrit un long-métrage, on a besoin de ressorts scénaristiques. Si je veux faire mourir un personnage, et que je décide de le faire mourir écrasé par une voiture, ce n’est pas forcément pour dénoncer l’attitude des chauffards. Et cet accident, je vais le mettre en scène, je vais montrer les tonneaux, le fait qu’il n’avait pas de ceinture. Il y a donc des choses qu’on revendique malgré soi. Par contre, oui, il y a bien une critique assumée de la télé-réalité et du pouvoir. Mais le voyeurisme n’est pas un thème très moderne, Shakespeare s’en était déjà emparé.
Il y a également d’autres thèmes qui sont peut-être moins évidents : la paternité, Berléand jouant un père dont les bras font chacun deux tonnes. Il ne sait pas prendre sa fille dans les bras. C’est aussi une leçon aux enfants : faites l’éducation de vos parents bordel ! Ils sont handicapés vos parents… Je crois que j’ai dit « Je t’aime » à ma mère avant qu’elle me le dise, et malgré que ce soit une très très bonne femme, il faut faire l’éducation de ses parents. C’est aussi un film sur les grands frères, sur les mecs qui ont des problèmes avec les femmes, avec eux-mêmes.

Anthony REVOIR Envoyer un message au rédacteur

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