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BLOOD ISLAND

Un film de Jang Cheol-soo

La part sombre de la Corée du Sud

Dans les rues embouteillés de Séoul, Hae-won, une trentenaire sans histoire, au volant de sa voiture, est témoin de l’agression d’une jeune femme par deux voyous. Faisant mine de ne rien voir, elle relève sa vitre légèrement teintée sourde aux appels à l’aide de la victime. Suite à cet événement, elle perd peu à peu le contrôle des choses sur son lieu de travail et son patron lui impose de prendre quelques congés. Elle en profite alors pour rendre visite à son amie d’enfance, sur l’île de Moodo, loin de la ville, où les mœurs paraissent foncièrement différentes…

Sortie en DVD et Blu-ray le 3 mai 2011

Indubitablement, le cinéma sud-coréen détient le pouvoir de nous faire ressentir les sentiments les plus vils, ceux-là même qui sont réveillés par la révolte. Après "Sympathy for M. Vengeance", "A bittersweet life" et "The chaser", "Bedevilled" fait définitivement partie de ces films qui nous ramènent aux plus bas instincts de l'homme, voire même de l'animal. Autant le dire tout de suite, cette première tentative de l'ex-assistant de Kim Ki-duk est une réussite formelle, mélangeant les genres, dans un savoureux mais douloureux dosage.

"Bedevilled" met en parallèle deux femmes aux morales totalement différentes. A première vue, Hae-won a tout de la businesswoman égoïste et froide, qui refuse formellement de s'impliquer dans les situations qui ne la concernent pas directement. La séquence d'ouverture est d'ailleurs très éloquente quant à son manque de responsabilité citoyenne, refusant de coopérer avec la police suite à l'agression dont elle a été témoin. Sa passivité atteint son paroxysme lorsqu'elle assiste aux sévices quotidiens que subit Bok-nam, son amie d'enfance qui vit sur l'île sous développée de Moodo. Bok-nam est à l'opposé de son amie. Tendrement pathétique, elle fait figure de souffre-douleur face aux vieilles qui la traitent comme une esclave et à son mari qui la prend pour un sex-toy vivant. Elle reste digne malgré tout, retenant ses larmes et affichant un sourire qui dissimule ses souffrances. La seule chose qui lui fait relever la tête est sa fille et son espoir d'une vie meilleure en quittant cette île où elle est retenue prisonnière. Il ne faut cependant pas s'y méprendre. Derrière ces deux présentations, de primes abords simplistes, se cachent en fait des personnages bien plus complexes et nuancés.

La première partie s'illustre ainsi dans ce contexte révoltant et froid qui rappelle immédiatement "Breathless". Les insultes méprisantes résonnent. Les cadrages sont frontaux, les claquements de la chair, sourds, et la violence inflige une douloureuse claque dans la figure et au cœur. Choel-soo nous met dans une position éprouvante car on découvre ce microcosme sauvage, solaire et fantomatique, où la misogynie règne en toute légitimité, en même temps qu'une héroïne adoptant une politique de l'autruche qui devient de plus en plus révoltante. On subit chaque humiliation que Bok-nam se prend dans la figure, sans pouvoir broncher.

Puis, tout bascule. Dans un très cohérent et pourtant inespéré revirement, les rôles s'inversent pour laisser place à un jouissif exutoire. "Bedevilled" virevolte d'un genre à l'autre en un passage net et sans bavure, à l'image d'œuvres comme "Audition" ou "Une nuit en enfer". On exulte devant cette deuxième partie cathartique, portée par une énergie volcanique jusque-là contenue et, s'il n'y avait pas ce péché d'excès dans les dix dernières minutes du film, Jang Choel-soo frôlerait la perfection avec cette première œuvre…

Alexandre RomanazziEnvoyer un message au rédacteur

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