DOSSIERBilan de l'année
TOP 2024 : "EMILIA PÉREZ" élu meilleur film pour Abus de Ciné
Après consultation de 12 membres de la rédaction, Abus de Ciné a tranché : c’est "Emilia Pérez" de Jacques Audiard qui arrive en tête de nos suffrages pour l’année 2024. Retour sur les films que nous avons considérés comme étant les meilleurs de l’an dernier.
Commençons par quelques données statistiques : sur les 12 bilans individuels fournis par nos soins, pas moins de 108 films ont été proposés, 43 ont été cités par au moins 2 personnes et 23 ont trouvé leur place dans 3 classements ou plus. Nous continuons donc à mettre en avant la diversité de l’offre cinématographique et la singularité des goûts.
Comme nous le verrons prochainement dans un autre article qui évoquera nos flops, l’année 2024 a été particulièrement clivante, suscitant parfois autant d’enthousiasme que de rejet ou de déception ! Il y a toutefois deux films qui sortent du lot selon nous, et il s’en est fallu de peu pour les départager : "Emilia Pérez" et "Pauvres Créatures" ont en effet été cités respectivement dans 10 et 9 bilans individuels – avec notre système de points (voir explications en fin d’article), l’écart de score équivaut à une 10e place dans un bilan personnel. Voilà donc deux œuvres ouvertement baroques qui ont indéniablement conquis nos cœurs.
Si les films suivants sont relativement distancés par ce duo de tête, la troisième place sur notre podium s’est jouée à un fragment de rien du tout : une petite piqûre de "The Substance" l’a emporté d’un microscopique point (soit l’équivalent d’une 20e place) sur un saupoudrage d’épice de "Dune, deuxième partie" ! Et "Civil War" n’arrive pas très loin non plus dans cette suite de classement ultra serrée.
Un tout petit peu derrière ce top 5, arrivent "La Zone d’intérêt" et "Anora", se succédant là aussi dans un mouchoir de poche. Avec le plus petit total de citations de notre top 10 (4 bilans le mentionnent), "Sans jamais nous connaître" est pourtant confortablement installé en 8e place de notre classement collectif, car il bénéficie d’un accueil très favorable des membres ayant mis ce film en avant. Enfin, deux films se partagent la 9e place avec des styles totalement différents : "Les Graines du figuier sauvage" et "Furiosa : Une saga Mad Max".
Notons que Cannes a fait très fort en 2024 car notre top 10 comprend 4 films du palmarès de la 77e édition du festival ("Emilia Pérez", "The Substance", "Anora", "Les Graines du figuier sauvage") et 1 de celui de l’année précédente ("La Zone d’intérêt"), à quoi il faut ajouter un film présenté hors compétition ("Furiosa"). En élargissant à notre top 20, on a un total de 12 films passés par le Festival de Cannes dans une section compétitive ("L’Amour ouf", "L’Histoire de Souleymane", "Vingt Dieux") ou hors compétition ("Le Comte de Monte-Cristo", "City of Darkness", "Miséricorde"). Sacrée densité ! Par comparaison, seuls 2 films passés par la Mostra de Venise sont présents dans notre top 20 : "Pauvres Créatures" et "Beetlejuice Beetlejuice".
Avant de passer à la présentation de chaque film, il convient de souligner un autre constat marquant dans notre top 10 : son côté cosmopolite. On trouve ainsi un cinéaste français qui dirige des actrices hispanophones ("Emilia Pérez"), un Grec, une Française et un Québécois aux commandes de films anglophones ("Pauvres Créatures", "The Substance", "Dune, deuxième partie"), un Britannique qui tourne en allemand ("La Zone d’intérêt"), un Américain qui utilise en grande partie la langue russe ("Anora") et un Iranien dont le film est financé par des capitaux franco-allemands ("Les Graines du figuier sauvage"). Si on ajoute le fait que les trois autres films sont dirigés par des Britanniques ("Civil War" et "Sans jamais nous connaître") et un Australien ("Furiosa"), on pourrait dire que le cinéma américain a eu besoin de talents étrangers pour exister ! On peut constater enfin que les films francophones restent en-dehors de notre top 10 (rappelons que notre bilan de l’année précédente avait couronné un long métrage hexagonal francophone : "Anatomie d'une chute"), mais rassurons-nous sur l'état du cinéma français en remarquant qu'il y a tout de même 5 films français présents dans la suite de notre top 20, qui s'ajoutent donc à "Emilia Pérez" – sans parler de "The Substance" et "Les Graines du figuier sauvage" qui sont des productions françaises minoritaires.
1er // EMILIA PÉREZ
139 points – cité dans 10 bilans individuels – 2 fois premier
de Jacques Audiard
avec Zoe Saldaña, Karla Sofía Gascón, Selena Gomez, Adriana Paz, Mark Ivani, Édgar Ramírez…
Doublement couronné à Cannes par un prix du jury et par un prix d’interprétation féminine collectif (qui a horripilé les transphobes et les fachos de tout poil), quadruple vainqueur aux Golden Globes, multi-nommé aux César, aux Oscars et aux BAFTA, "Emilia Pérez" est une tornade cinématographique aussi surprenante qu’improbable, tant dans son scénario (adapté d’un roman, rappelons-le) que dans sa mise en scène sous forme de comédie musicale. Un tel projet aurait pu devenir un gros nanar aux mains d’un réalisateur lambda, mais il est bel et bien un bijou de virtuosité et de créativité avec le talent d’un Jacques Audiard plus en forme que jamais. Une claque.
2e // PAUVRES CRÉATURES
128 points – cité dans 9 bilans individuels – 1 fois premier
de Yórgos Lánthimos
avec Emma Stone, Willem Dafoe, Mark Ruffalo, Ramy Youssef, Jerrod Carmichael, Margaret Qualley…
Avec "Pauvres Créatures", lauréat du Lion d’or en 2023, Yórgos Lánthimos propose une variation féministe de "Frankenstein" sous la forme d’un récit initiatique à la fois onirique et dérangeant. Déployant son esthétique baroque et steampunk avec un goût assumé pour l’étrange et la provocation, il fait du personnage incarné par Emma Stone (oscarisée pour sa performance) un miroir tendu à la civilisation pour en interroger profondément les valeurs et les normes – et notamment critiquer l'emprise et le patriarcat. Désarçonnant.
3e // THE SUBSTANCE
98 points – cité dans 7 bilans individuels – 1 fois premier
de Coralie Fargeat
avec Demi Moore, Margaret Qualley, Dennis Quaid, Gore Abrams…
Après Julia Ducournau et son "Titane" en 2021, une autre réalisatrice français, Coralie Fargeat, a bousculé Cannes en 2024 avec le tout aussi déstabilisant "The Substance". Si beaucoup se sont étonné que le film ait reçu le prix du scénario plutôt que celui de la mise en scène, l’œuvre a clivé jusque dans les milieux féministes. Dans tous les cas, ce long métrage gore et provocateur, aux multiples influences, ne laisse pas indifférent, et il a permis à la fois le retour en grâce de Demi Moore (récompensée aux Golden Globes) et la confirmation du talent de Margaret Qualley.
4e // DUNE, DEUXIÈME PARTIE
97 points – cité dans 9 bilans individuels – meilleure place : 5e
de Denis Villeneuve
avec Timothée Chalamet, Zendaya, Rebecca Ferguson, Javier Bardem, Josh Brolin, Austin Butler, Florence Pugh, Stellan Skarsgård, David Bautista, Christopher Walken, Léa Seydoux, Charlotte Rampling…
La première partie nous avait un peu laissés sur notre faim et les 2 ans et demi d’attente avaient semblé interminables ! Plus palpitante et plus épique que le premier opus, "Dune, deuxième partie" nous a définitivement embarqués au côté d’un Timothée Chalamet clairement habité par son personnage. Une fois de plus, Denis Villeneuve a montré l’ampleur qu’il pouvait conférer à ses réalisations quand il est au sommet de son art. Vous reprendrez bien un peu d'Épice ?
5e // CIVIL WAR
94 points – cité dans 6 bilans individuels – meilleure place : 3 fois 2e
d’Alex Garland
avec Kirsten Dunst, Wagner Moura, Cailee Spaeny, Stephen McKinley Henderson, Nick Offerman, Sonoya Mizuno, Jesse Plemons…
Délaissant la science-fiction et le fantastique pour une anticipation plus réaliste, Alex Garland a signé un film choc qui fait froid dans le dos, tant l’actualité politique et géopolitique donne l’impression que la dystopie de "Civil War" est un aperçu d’un futur proche qui est peut-être inéluctable ! Au moment où la démocratie américaine prend un tournant fascisant (rappelons que Trump n’était pas encore réélu lorsque le film est sorti), ce film de guerre nous met face au précipice : que sera notre monde si l’on tombe vraiment là-dedans ?
6e // LA ZONE D’INTÉRÊT
88 points – cité dans 5 bilans individuels – meilleure place : 2e
de Jonathan Glazer
avec Christian Friedel, Sandra Hüller, Ralpha Herforth, Daniel Holzberg, Freya Kreutzkam, Imogen Kogge…
Clinique et glaçant, "La Zone d’intérêt" filme les coulisses du mal, laissant hors champ l'horreur des camps d'extermination, dont le son rappelle régulièrement l’existence. Le contraste avec le confort et l’insouciance de la famille nazie apporte un effroi inédit par rapport à tout ce qu’on a déjà vu au cinéma sur le thème de la Shoah. Sandra Hüller, que nous avions désignée meilleure actrice l’an dernier pour sa performance dans "Anatomie d’une chute" (les deux films étaient d’ailleurs en concurrence à Cannes en 2023), est une nouvelle fois excellente dans son rôle d’épouse de Rudolf Höss, tandis que Christian Friedel compose un portrait empreint de cette cruauté froide qui caractérisait les dignitaires nazis. Une plongée implacable dans une idéologie qui fait frémir d’autant plus que l’extrême droite progresse partout dans le monde de nos jours…
7e // ANORA
84 points – cité dans 6 bilans individuels – meilleure place : 4e
de Sean Baker
avec Mikey Madison, Mark Eidelstein, Yuriy Borisov, Karren Karagulian…
Sorte de "Pretty Woman" du XXIe siècle, "Anora" a séduit le jury cannois présidé par Greta Gerwig au point d’obtenir la suprême Palme d’or. Cette histoire d’amour a priori impossible (on préserve le suspense si vous ne l’avez pas vu) tourne autour d’une prostituée au caractère bien trempé qui ne lâche rien. Ce personnage, tantôt solaire tantôt poignant, est impeccablement interprété par Mikey Madison, que Sean Baker magnifie quelle que soit la situation. On vibre avec elle.
8e // SANS JAMAIS NOUS CONNAÎTRE
69 points – cité dans 4 bilans individuels – 2 fois premier
d’Andrew Haigh
avec Andrew Scott, Paul Mescal, Jamie Bell, Claire Foy…
Drame mélancolique sur le deuil, l’homosexualité et la solitude, "Sans jamais nous connaître" doit beaucoup à son bouleversant quatuor d'interprètes, et notamment au duo que forment Andrew Scott et Paul Mescal. En se réappropriant des codes du cinéma fantastique, Andrew Haigh signe une œuvre où espoir et désespoir s’entremêlent constamment, dans une sorte de vertige où l’amour peut apparaître à la fois comme un idéal inaccessible et comme un remède immortel. Paradoxal ? Voyez plutôt le film pour vous en convaincre…
9e EX-ÆQUO // LES GRAINES DU FIGUIER SAUVAGE
57 points – cité dans 5 bilans individuels – 1 fois premier
de Mohammad Rasoulof
avec Missagh Zareh, Soheila Golestani, Mahsa Rostami, Setareh Maleki…
Difficile de passer à côté du contexte de réalisation pour évoquer ce film : Mohammad Rasoulof l’a tourné en secret et l’histoire se déroule pendant les protestations consécutives à la mort de Mahsa Alimi. Véritable réquisitoire contre le régime iranien et plaidoyer en faveur du mouvement « Femme, Vie, Liberté », "Les Graines du figuier sauvage" met en scène la difficile coexistence au sein même d’une famille, montrant tour à tour la paranoïa ou la lâcheté des hommes, et la soumission ou le courage des femmes. Un thriller crescendo qui intègre des vidéos réelles des évènements de 2022-2023. Puissant et nécessaire.
9e EX-ÆQUO // FURIOSA, UNE SAGA MAD MAX
57 points – cité dans 5 bilans individuels – 1 fois premier
de George Miller
avec Anya Taylor-Joy, Chris Hemsworth, Tom Burke, Lachy Hulme, Nathan Jones, Angus Sampson…
Ce préquel de "Mad Max : Fury Road" était très attendu et il a tenu ses promesses. Fidèle à l’opus précédent, "Furiosa : Une saga Mad Max" est un trip visuel impressionnant et jouissif, où tout est complètement dingue. L’énergie de la mise en scène, la folie de Chris Hemsworth et l’intensité de jeu d’Anya Taylor-Joy sont parmi les ingrédients d’une recette épique qui semble plus intarissable que ne le sont les ressources en eau, en pétrole et en munitions dans le monde post-apocalyptique de la saga ! En redemanderait-on encore une dose ? Possible…
Suite de notre top 20, avec des écarts plus resserrés
11e // Le Comte de Monte-Cristo (49 points / 4 citations / 1 fois premier)
12e // L’Amour ouf (47 / 4 / meilleure place : 3e)
13e // Alien: Romulus (45 / 4 / 3e)
14e // Love Lies Bleeding (44 / 3 / 5e)
15e // L’Histoire de Souleymane (43 / 4 / 6e)
16 e // Beetlejuice Beetlejuice (41 / 3 / 4e)
17e ex-æquo // City of Darkness (40 / 5 / 6e) ; Vingt Dieux (40 / 3 / 2e)
19e // Miséricorde (37 / 2 / 2e)
20e // When Evil Lurks (36 / 3 / 6e)
Procédure de classement utilisée : chaque membre avait la possibilité de fournir un classement comprenant entre 10 et 20 films. Quel que soit le choix, une première place vaut 20 points au film concerné, puis de manière dégressive jusqu’à 1 point pour une 20e place (le score s’arrêtant donc à 11 points pour une 10e place en cas de top 10).