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MÉTIERS DU CINÉMA : PORTRAIT D’UN COMPOSITEUR

À travers notre rencontre avec Nathanaël Bergèse, nous vous proposons de découvrir un métier du cinéma : compositeur de musiques de films. Un travail synonyme de pont entre deux arts dont il nous raconte avec passion les spécificités, à la lumière de son parcours et son expérience pour le cinéma ou la télévision.

Pour devenir compositeur de musiques de films, il n’existe pas de parcours-type, surtout dans notre monde contemporain où les logiciels ont quelque peu démocratisé la pratique musicale. Ceci dit, dans le cas de Nathanaël Bergèse, on pourrait dire qu’on a plutôt affaire à un pur produit des conservatoires, avec des études de piano, de jazz et d’écriture, et même une des premières formations de composition pour l’écran à Valence, qui n’a toutefois pas conduit immédiatement ses pas vers la musique de film. Ainsi, après des années comme arrangeur et directeur artistique dans le milieu de la variété, un mélange de lassitude et d’opportunités nouvelles orientent sa carrière autrement : des amis de jeunesse lui demandent de créer des musiques pour du théâtre, puis il se met à proposer ses services dans le milieu de l’animation. Ensuite, il y a une part de chance dans la réussite : pour sa première composition pour l’écran, le court métrage d’animation "Oripeaux" (2014), le CNC lui remet une « prime à la qualité musique ». Si Nathanaël Bergèse estime qu’une telle reconnaissance « ne change ni la valeur du travail, ni la valeur humaine », c’est un possible coup de pouce pour se faire repérer. Toujours est-il qu’à partir de cette première expérience réussie, il développe alors son réseau, d’abord assez centré sur l’animation à cause de la faible porosité entre certains milieux, comme il le confie : « c’est plus facile d’évoluer dans l’univers dans lequel on a été identifié au départ, mais je tends à m’ouvrir vers d’autres choses ». En effet, ces dernières années, il a aussi travaillé sur des documentaires ou sur des fictions en prises de vues réelles, et même sur un jeu vidéo ("Linkito").

Une implication variable en fonction des projets

L’arrivée du compositeur sur un projet dépend de sa nature. Si l’interlocuteur est plutôt le réalisateur pour un court ou long métrage, il s’agit du producteur ou du diffuseur dans le cas des séries, avec un contrôle sur l’ensemble du processus pour veiller à la cohérence du produit final. De là, découlent plusieurs méthodes de travail. Avec un réalisateur, il y a généralement plus de discussions purement artistiques, alors que les échanges avec des producteurs de série peuvent se recentrer avant tout sur des cadres à respecter, parfois très limitatifs, par exemple en lien avec le public ciblé. Nathanaël Bergèse prend l’exemple de la série d’animation "Ana Filoute", destinée aux 3-6 ans, qui nécessitait des thèmes mémorables qui revenaient régulièrement pour identifier des personnages ou des évènements, en suscitant des émotions sans qu’elles soient trop fortes. En comparaison, pour le long métrage d’animation "Wardi", il n’avait pas forcément de cadre prédéfini et cela permettait de se poser la question de ce que le réalisateur voulait raconter et de la manière dont la musique pouvait accompagner cette démarche artistique.

Il existe par ailleurs une grande différence entre l’animation et la prise de vues réelles. Comme la création animée prend beaucoup plus temps et que cela a un coût, la préparation est minutieuse : tout ce qui est créé (ou presque) doit être utilisé, et la musique peut (et même doit) être pensée en amont, entre autres pour éviter d’étendre la durée de postproduction. Dans le cinéma d’animation, il existe aussi une étape spécifique appelée « animatique », qui est une sorte de storyboard vidéo, ce qui permet d’envisager de manière précoce le montage et la musique ; cela définit en avance la quantité de musique nécessaire et divers choix qui permettent au compositeur de commencer à créer en même temps que la phase de production. Ainsi, quand le montage d’un film est terminé, il suffit presque seulement de réajuster et d’enregistrer. Dans le cas de "Wardi", le travail de Nathanaël Bergèse s’est étalé sur trois ans.

Pour le live action, c’est tout autre chose : le compositeur est souvent engagé alors que le montage est en cours et le temps de travail est inévitablement plus court. Nathanaël Bergèse donne l’exemple du long métrage "Silent Shot" : il a rencontré le réalisateur au moment où le tournage était presque fini et n’a ensuite eu que trois mois pour créer la musique durant la phase de postproduction.

Il existe également une difficulté récurrente que l’on ne retrouve pas dans l’animation : les pistes temporaires. Il s’agit de musiques préexistantes que les monteurs et réalisateurs utilisent provisoirement durant les premières versions du montage. « C’est un vrai sujet », admet Nathanaël Bergèse, qui raconte que Danny Elfman s’est ouvertement plaint de cette pratique en ces termes : « temp music is the bane of my existence », soit « la musique temporaire est le fléau de mon existence ». La raison ? Il est souvent complexe voire impossible pour les compositeurs de proposer une nouvelle musique quand le réalisateur s’est trop habitué aux musiques temporaires ou quand le montage est trop calé sur le rythme de ces titres théoriquement non définitifs. Selon Nathanaël Bergèse, « ces deux problématiques nuisent forcément à la créativité et au discours musical global ». Dans certains cas, il n’y a guère d’autre solution que d’imiter la musique précédemment utilisée. « La seule chance, c’est la démonstration par l’exemple », tempère le compositeur, pour qui cela vaut parfois le coup de tenter quelque chose avec un effort de pédagogie et en laissant du temps au réalisateur ou au monteur pour s’habituer à de nouvelles propositions.

Dans tous les cas, Nathanaël Bergèse insiste sur le fait que « ce n’est pas une question d’avoir raison ou tort », mais plutôt une « addition des compétences et des talents, des oreilles et des cerveaux » qui peut mener aux meilleurs choix possibles pour le projet concerné.

Des processus variés de création musicale

La manière de procéder pour créer une bande originale peut être très variable, selon deux paramètres principaux : artistiques et économiques. Quoiqu’on veuille, le deuxième détermine déjà certaines limites, comme le nombre d’instrumentistes pour l’enregistrement en studio. Outre ces considérations financières, le début de la réflexion consiste généralement à définir une « couleur musicale », par exemple si ce sera plutôt orchestral ou plus synthétique.

Si le choix se porte sur une musique thématique, le compositeur passe beaucoup de temps à chercher des mélodies car elles vont être au cœur de la BO. Cela peut se faire avec un instrument ou en chantant, puis progressivement s’écrire sur partition et/ou être testé avec des logiciels. Dans d’autres cas, l’option d’une musique plus organique passe par une recherche plus empirique de textures sonores, car il y a moins de mélodie, et le travail se fait plus sur un ordinateur. Nathanaël Bergèse cite l’exemple de "Silent Shot" où il a privilégié une ambiance sonore faite de quelques notes ou accords, avec la volonté de « trouver les bons timbres, ceux qui vont bien s’agencer entre eux et qui vont faire l’effet qu’on cherche par rapport à l’image ».

Quant au choix des instruments, peut se poser la question de la cohérence culturelle avec le récit du film. Nathanaël Bergèse explique que pour "Wardi", qui se déroule au Moyen-Orient, il a finalement été décidé d’éviter d’avoir recours à des instruments orientaux car cela aurait « trop indigeste », comme « rajouter de la chantilly sur du sucre ». La musique du film fait alors appel à un quintet à cordes et une guitare acoustique, auxquels s’ajoutent seulement quelques percussions orientales. Parfois, la volonté d’un certain contrepoint est plus affirmée, comme dans le cas d’une séquence du long métrage "M" pour laquelle Nathanaël Bergèse a créé une musique assez douce au piano, « qui évoque l’espoir » alors que le personnage traverse un espace post-apocalyptique qui le contraint à se cacher et à être à l’affut du moindre danger.

La question des droits d’auteur

MÉTIERS DU CINÉMA : PORTRAIT D’UN COMPOSITEUR Wardi affiche

© Jour2Fête

En France, le code de la propriété intellectuelle reconnaît le compositeur comme un des auteurs d’une œuvre audiovisuelle aux côtés du réalisateur et du scénariste. Cela n’implique pas pour autant que les compositeurs gardent automatiquement la main sur leur création. Ainsi, l’éventuelle exploitation secondaire de la BO (par exemple la sortie sur CD ou la diffusion sur des plateformes) se gère contractuellement, avec une clause qui peut se négocier en fonction des projets. De façon générale, plus c’est une grosse production, plus la probabilité de céder les droits d’exploitation est forte. Dans le cas de Nathanaël Bergèse, c’est par exemple le cas pour "Ana Filoute" (produit par France Télévision) ou pour "The Adventures of Little Penguin" (de la société chinoise Tencent) ; en revanche, il a conservé les droits pour "Wardi" et a édité lui-même l’album. Dans tous les cas, le compositeur a son mot à dire en cas de réutilisation d’une musique dans un autre cadre.

Filmographie sélective de Nathanaël Bergèse

2014 : "Oripeaux" (court métrage d’animation)
2014 : "En sortant de l’école" (série d’animation)
2014 : "Vieil Ours" (court métrage d’animation)
2018 : "Wardi" (long métrage d’animation)
2020 : "Les Mal-aimés" (programme de courts métrages d’animation)
2020 : "Kiko et les animaux" (court métrage d’animation)
2021 : "Ana Filoute" (série d’animation)
2021 : "The Adventures of Little Penguin" (série d’animation)
2023 : "M" ou "Call of Silence" (long métrage)
2024 : "Roquette et les Mal-aimés" (programme de courts métrages d’animation)
2024 : "Axomama, une histoire de pomme de terre" (documentaire)
2025 : "Silent Shot" (long métrage) – hors musiques électroniques créées par Mercury 82
2025 : "La Pègre animale : La Vie secrète des parasites" (documentaire)

Informations

Actualité : diffusion du documentaire "La Pègre animale" sur Arte (sur Arte.tv puis à l’antenne en octobre 2025)

Site officiel de Nathanaël Bergèse

Site officiel de sa société Adélie Prod, fondée en 2008 et basée au Pôle de l’image animée de la Cartoucherie (Bourg-lès-Valence)

Raphaël Jullien Envoyer un message au rédacteur

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