DOSSIERIl était une fois

IL ÉTAIT UNE FOIS… Tasio

Pour commencer cet article, un préambule s’impose autour de la restauration de ce film devenu culte avec le temps et de plus en plus pertinent. Remercions des laboratoires comme L’Immagine Ritrovata pour leur restauration magnifique accompagné dans le processus par le réalisateur Montxo Armendariz lui-même, ainsi que la Filmoteca (la cinémathèque espagnole) pour leur soutien indéfectible à la réalisation de cette remasterisation. Un processus toujours long et fastidieux mais qu’il est nécessaire de mettre en avant.

Grâce à ce genre d’initiation, nous avons la chance de pouvoir continuer à transmettre et partager les œuvres qui représentent une certaine idée du cinéma, un cinéma du monde et qui parle du monde. C’est pourquoi le projet de fourmis visant à remettre un coup de polish à ce film quasi documentaire relève presque de l’utilité publique.

Une figure iconique du Pays Basque

Pour nous autres, communs des mortels et occidentaux coincés dans leurs journées de bureau, quelqu’un du nom de Tasio ne nous évoque rien. Alors qu’aux Pays Basque, il résonne encore aujourd’hui comme une figure sociétale ne faisant qu’un avec la mémoire collective du pays. Nous parlons ici de l’homme véritable derrière le surnom Tasio, de son vrai nom Anastasio Ochoa, charbonnier de son village et apprécié par ses pairs. C’est lorsque le réalisateur espagnol Montxo Armendariz réalise un documentaire ("Carboneros de Navarra", 1981) sur les dernières personnes à fabriquer du charbon de bois dans les différentes régions des Pays Basque (métier quasiment disparu aujourd’hui), qu’il rencontre cet homme Tasio. Et leur rencontre sera l’impulsion de la réalisation d’un biopic teinté de fiction sur le parcours de ce jeune homme et sa relation avec la nature.

La description d’un métier en perdition et d’un univers se restreignant

Que ce soit la description de ce métier en perdition qu’est charbonnier, avec ses images saisissantes de ces huttes de paille fumant de charbon, et des risques inhérents au métier ou encore des prémisses de la vie de Tasio alors jeune enfant découvrant la liberté que la nature apporte, le film vise juste et résonne en nous. Aidé par le jeu des comédiens qui dégagent une sorte de candeur, ainsi que par cette bande originale signée Ángel Illarramendi envoûtante comme la sortie d’un songe, le long métrage se retrouve à mi -chemin entre onirisme sans fioriture et réalité violente. La mise en scène constituée de plans alternant entre poses longues et mouvements réfléchis permet une représentation de l’authenticité de l’univers qui nous a été présenté assez marquante.

Un témoignage d’utilité publique, toujours d’actualité

Et nous revenons à l’utilité culturelle en tant qu’espace pour faire perdurer ces témoignages d’une autre époque. Une époque où des métiers comme charbonnier étaient autant redoutés que convoités, avec des savoir-faire multi-générationnels. Une époque où l’homme n’avait pas complètement envahi la Terre avec ses barrières et ses lois. Le rapport à la nature, via la chasse ou les métiers manuels ainsi que sa relation avec les autres, mais de façon plus générale avec l’être humain de chaque parcelle de ce monde, est un élément central du film. Là où lorsqu’il est sorti pour la première fois en 1986, le film résonnait déjà avec cette réalité d’un capitalisme grandissant et gangrenant chaque morceau encore pur de ce monde. Mais avec sa reprise aujourd’hui, le constat est d’autant plus frappant. Ce que le personnage de Tasio expérimente sur les 50 années de sa vie que le film couvre, avec ses restrictions autour de cette montagne qu’il aime tant, symbolisée par des soldats du régime et le propriétaire d’une partie de la forêt, nous spectateurs de 2025 l’expérimentons à une puissance supérieure.

L’inscription plus large dans une œuvre et dans un devoir de mémoire

Tout en étant paradoxalement tenté d’être toujours plus éloigné de la Nature par un système qui pourrit chaque chose qu’il touche, le film nous rappelle qu’il a existé un temps pour tout dans l’humanité. Nous avons été singes puis nous nous sommes dressés, nous avons cultivé, conquis, créé et de plus en plus voilà qu’on commence à perdre des choses essentielles. "Tasio" nous rappelle avec un uppercut inconfortable le déclin d’un monde et les êtres qui recherchent la liberté au milieu de tout ce marasme fait d’interdictions et d’obligations. Ce n’est pas pour rien que dans une autre réalisation du cinéaste, "Historias del Kronen", on retrouve une bande d’amis qui refont le monde autour de pintes de bières au fond d’un bar. Les espaces de liberté s’en retrouvent confinés à des lieux obscurs où les refuges deviennent peu à peu des tombeaux. Le film porte en lui aujourd’hui un devoir de mémoire qui relève de l’utilité publique. Et c’est peut être ça le cinéma ; une œuvre qui touche juste un sujet arrive à traverser le temps et les âges avec la sensation douce-amère d’être face à un rêve de Cassandre où l'inéluctable chute trouve des moments de grâce que seul le cinéma peut capter.

La bande annonce du film "Tasio" (reprise le 23 avril 2025) :

Germain Brévot Envoyer un message au rédacteur

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