Banniere_11_films_de_separation_Saint_Valentin

DOSSIERHommage

HOMMAGE : Jean-Pierre Bacri en quelques films

Homme de théâtre et de cinéma, plume et interprète, Jean-Pierre Bacri laisse un grand vide avec sa disparition à 69 ans. Abus de Ciné lui rend hommage avec un retour sur quelques-uns de ses rôles et de ses scénarios.

Choisir des films dans la carrière de Jean-Pierre Bacri est évidemment partial ou arbitraire, mais les rôles et scénarios évoqués dans cet article font partie de ce qui était essentiel, même si cet essentiel va bien au-delà quand on considère sa riche filmographie.

Subway (1985), de Luc Besson

Rôle : l’inspecteur Batman

Dans le deuxième long métrage de Luc Besson, Jean-Pierre Bacri incarne, après "Le Grand Pardon" d’Alexandre Arcady, l’un de ses premiers personnages notoires : l’inspecteur Batman. Trimbalant un talky-walky et un air hautain, il a tendance à froncer les sourcils et à mâchouiller un chewing-gum pour se donner une allure de type à la fois désinvolte et sûr de lui. Lorsqu’il passe à l’action pour suivre le « Roller » (Jean-Hugues Anglade) avec l’accord de son supérieur (Michel Galabru), il affiche une sorte de détermination sadique et enfantine, en serrant le poing et en crachant son chewing-gum dans les couloirs du métro. Cet inspecteur est pourtant ridiculisé, tant par son manque de finesse que par son incapacité à attraper ceux qu’il poursuit, déversant les « merde » ou les « fait chier » pour évacuer sa frustration après un échec. Il est également humilié durant son tête-à-tête avec Héléna (Isabelle Adjani), avec qui il adopte un ton mielleux au point de croire naïvement ce qu’elle lui raconte. Au final, ce personnage n’est jamais à la hauteur de ses ambitions : il est pitoyable et brasse du vent !

Raphaël Jullien

Mes meilleurs copains (1989), de Jean-Marie Poiré

Rôle : Éric Guidolini, dit « Guido »

En 1989, Jean-Marie Poiré décide de tourner son "Éléphant ça trompe énormément" à lui, celui de la génération d'après, celle des années 80. Ses "Meilleurs Copains", ados en 68, ont, à l'inverse de la bande d'Yves Robert, tout donné à 20 ans pour finalement devenir vieux avant l'âge, la quarantaine approchant. Le temps d'un weekend, Richard, Jean-Michel, Dany et Guido courent après leur jeunesse perdue quand Bernadette Legranbois, ex chanteuse de leur groupe de rock, réapparaît dans leur vie.

Jean-Pierre Bacri y incarne Guido, directeur marketing chez Contrex, sorte de clone de Thierry Ardisson à un détail près : Guido s'oblige à une vie saine et chaste car il est gay et, quand on est homo dans les années sida, la vie est tout de suite moins légère. Finies les performances très très intimes de ses 20 ans avec son ami italien Fetuccino (le bien nommé). Maintenant Guido retient ses pulsions du mieux qu'il peut et quand le maquilleur de Bernadette débarque avec son physique de rêve, il enfourche frénétiquement son vélo pour faire 3 fois le tour de l'Eure-et-Loir. Ce personnage un peu à part dans sa carrière, Jean-Pierre Bacri le retrouve néanmoins 30 ans plus tard, version hétéro cette fois, lorsqu'il joue Castro l'animateur vedette sur le déclin dans "Place publique".

Gaëlle Bouché

Cuisine et Dépendances (1993), de Philippe Muyl

© Gaumont Buena Vista International

Rôle : Georges + scénario

Jean-Pierre Bacri incarne Georges dans cette adaptation cinématographique de la pièce de théâtre à succès du même nom qu'il a coécrite avec Agnès Jaoui. Le long-métrage se déroule le temps d'une soirée où l'on ne verra jamais le dîner, tout comme l'invité principal – pourtant sujet de presque toutes les conversations – car l'action se déroule, comme le titre l’indique, dans la cuisine et les dépendances et non là où se réunissent les convives. L'ensemble possède une vraie finesse d'écriture dans ses dialogues et situations qui auscultent les conventions de la société et ceux qui décident de ne pas s'y plier.

Son personnage, Georges, est bougon, grincheux, peu sympathique mais sans être réellement antipathique, s'opposant à toute forme de convention afin de rester lui-même et crispant les autres protagonistes par son attitude et ses propos.

S'il fallait retenir une réplique qui synthétise parfaitement la pensée de son personnage, ce serait celle-ci : « C'est la majorité ! Laquelle d'abord ? Celle qui pensait que la Terre était plate ? Celle qui veut rétablir la peine de mort ? Celle qui se fout une plume dans le cul parce que c'est la mode ? Laquelle exactement ? ».

Kévin Gueydan

La Cité de la peur (1994), d’Alain Berberian

Rôle : le troisième projectionniste

Il y a bien sûr le duo Bacri/Jaoui mais il y a aussi le duo Bacri/Chabat. Tous les deux sympathisent sur les plateaux de télé, Bacri participant notamment à "Les Nuls, l’émission" en 1990 et étant le premier invité de "La Grosse Émission" présentée par Chabat en 1998… jusqu’à sa participation plus récente au "Burger Quiz". Au cinéma, c’est dans "La Cité de la peur" qu’ils collaborent pour la première fois avant de se retrouver sur "Didier", "Le Goût des autres", "Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre" (voix off et collaboration artistique non créditée au générique), "Santa et Cie" (déguisé en père Noël)… Le film écrit par Les Nuls et réalisé par Alain Berberian, sorti en 1994, met en scène un comédien raté (Dominique Farrugia), une attachée de presse « maquillée, je vous dis pas, c’est une horreur » (Chantal Lauby) et le garde du corps Karamazov « aucun lien, fils unique » (Alain Chabat) confrontés à un tueur en série (un « siriole killeur ») qui élimine tous les projectionnistes du film "Red is Dead" présenté au Festival de Cannes. Jean-Pierre Bacri interprète le 3e projectionniste qui finit charcuté « à la saucisse et au marteau » après avoir débité tout le champ lexical mortuaire qui ne donnait guère d’illusion sur son destin funeste. Un caméo parfait pour Bacri qui râle délicieusement pendu au téléphone, au point de ne pas être effrayé du tout par le tueur qui le menace !

Mathieu Payan

Un air de famille (1996), de Cédric Klapisch

Rôle : Henri Ménard + scénario

À l’origine du film : une pièce de théâtre écrite par Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri, leur deuxième après "Cuisine et Dépendances". Ces deux pièces ont connu le même destin : un Molière du meilleur spectacle comique suivi d’une adaptation sur grand écran. Mais c’est celle-ci qui a popularisé l’acteur auprès du grand public, le film cumulant plus de 2 millions d’entrées au cinéma. Bacri y joue le rôle d’un patron de café bougon, mais aussi un fils mal aimé et grincheux, dont le franc-parler et le phrasé hésitant – sur des répliques simplement cultes – ont imprimé l’image de râleur qui lui a collé définitivement à la peau. Bacri est d’une incroyable justesse dans son incarnation d’Henri, un personnage souvent humilié, qui reporte son mal-être sur son serveur (un autre Jean-Pierre : Darroussin) et qui devient l’un des plus attachants et des plus émouvants du film.

Mathieu Payan

Didier (1997), d’Alain Chabat

© AMLF

Rôle : Jean-Pierre Costa

Le duo Bacri/Chabat est inoubliable dans "Didier". Dans son premier film comme réalisateur, Alain Chabat incarne un chien ayant pris forme humaine, alors que Bacri est Jean-Pierre Costa, le maître de cet étrange homme canin. Forcément décontenancé par cette situation, Jean-Pierre se met rapidement à parler à Didier comme s’il avait encore son apparence animale et à le traiter littéralement comme un chien, ce qui est à l’origine d’une grande majorité des gags du film. Parmi les répliques cultes, figure évidemment le fameux running gag « on ne sent pas le cul », que Bacri prononce avec un délicieux mélange de flegme et d’agacement. Son personnage étant un agent de football, il profite aussi de la situation pour exploiter les talents de son chien-humain en le faisant passer pour un joueur lituanien du nom de Didje Hazanavicius (petit clin d’œil évident à Michel Hazanavicius, collaborateur régulier des Nuls). Il en ressort des scènes hilarantes durant lesquelles le personnage de Bacri feint de traduire des consignes en lituanien avec un yaourt qui s’apparente plus à du portugais.

Raphaël Jullien

On connaît la chanson (1997), d’Alain Resnais

Rôle : Nicolas + scénario

Le duo Agnès Jaoui/ Jean-Pierre Bacri est à la fois à l'écriture du scénario et devant la caméra pour le plus gros succès commercial d'Alain Renais. "On connaît la chanson" s'intéresse aux apparences que donnent à voir les individus en société à travers une subtile galerie de personnages qui modifient leurs comportements en fonction de la situation et des gens avec qui ils sont, au point de n'être quasiment jamais eux-mêmes et d'avoir honte de ce qu'ils sont.. Le tout est ponctué de playbacks de chansons populaires françaises des années 20 jusqu'aux années 80-90, qui viennent se substituer aux dialogues pour renforcer l'émotion ou les sentiments des protagonistes. Jean-Pierre Bacri incarne Nicolas, un chauffeur hypocondriaque qui vient d'installer son entreprise à Paris et cherche un appartement pour lui et sa famille. À la fois charmeur et irascible, sûr de lui mais anxieux, Jean-Pierre Bacri donne corps tout en finesse à cette dualité et rend attachant son personnage, qui finira par accepter qu'il ne peut tout contrôler. Enfin, s'il ne fallait garder qu'une séquence de sa prestation, ce sont ses playbacks de "Je ne suis pas bien portant" de Gaston Ouvrard, lors de chacune de ses visites chez le médecin.

Kévin Gueydan

Peut-être (1999), de Cédric Klapisch

Rôle : le père de Philippe et Clotilde

Contrairement à "Un air de famille" où il tenait une place centrale, Jean-Pierre Bacri fait une double apparition furtive dans cet autre film de Cédric Klapisch. Mais cette participation n’est pas si anecdotique, car son personnage prononce ce qui est sans doute la réplique la plus marquante de "Peut-être" : « J’avais dit mollo sur le destroy ». Bacri interprète en effet le père de Philippe et Clotilde, les personnages incarnés par Vincent Elbaz et Léa Drucker, qui organisent une fête pour le réveillon de l’an 2000 dans l’appartement familial. Lorsque lui et sa femme (Élisa Servier) laissent leurs enfants en début de soirée, il les prévient, à la fois gentiment et fermement, d’y aller « mollo sur le destroy », répétant cette expression à deux reprises. C’est lorsque le couple revient au petit matin et découvre l’appartement ravagé que Bacri prononce la réplique culte, en réutilisant pour la troisième fois cette formule, après avoir parcouru son logement bouche bée.

Raphaël Jullien

Le Goût des autres (2000), d’Agnès Jaoui

© Pathé Distribution

Rôle : Jean-Claude Castella + scénario

Pour la première réalisation de son éternelle complice Agnès Jaoui (Bacri n’étant pour sa part jamais passé derrière la caméra), le duo Jaoui-Bacri est à la manœuvre côté scénario pour la cinquième fois avec un impressionnant taux de réussite aux César puisque celui-ci leur vaut leur quatrième récompense dans la spécialité. Cette prestigieuse statistique est assortie, pour Jean-Pierre Bacri, d’un de ses rôles les plus complexes et les plus sensibles.

Son personnage, Jean-Claude Castella, reprend à première vue les caractéristiques ronchonnes que l’on associe si souvent à l’acteur. Rien ne paraît satisfaire cet industriel moustachu un brin ringard : son épouse (Christiane Millet) l’ennuie et l’infantilise ; sa sœur (Brigitte Catillon) est peut-être encore plus dépressive que lui n’est mélancolique ; il est exaspéré par l’arrogance de son assistant polytechnicien (Xavier de Guillebon) ; il fuit les cours d’anglais que ce dernier lui conseille ; et il est agacé par une négociation de contrat qui l’oblige provisoirement à être suivi quasi constamment par un garde du corps (Gérard Lanvin) en plus de son habituel chauffeur (Alain Chabat). Outre les sucreries dont il s’empiffre en cachette, rien ne semble l’intéresser.

Bacri interprète à merveille l’évolution progressive de son personnage, qui tombe sous le charme d’une comédienne (Anne Alvaro) alors qu’il traîne les pieds pour aller voir sa nièce dans une adaptation de "Bérénice". C’est alors le début d’une renaissance pour Castella, il s’ouvre progressivement et difficilement (douloureusement même), il retrouve même une forme de béatitude enfantine et naïve, il cherche un nouveau sens à sa vie… Bacri rend palpable tous les doutes et sentiments de ce personnage maladroit qui cache finalement un mal-être profond sous ses dehors de patron irascible. Un être qui manque étonnamment de confiance et qui ne sait pas trop où est sa place.

Raphaël Jullien

Cherchez Hortense (2012), de Pascal Bonitzer

Rôle : Damien Hauer

Professeur de civilisation asiatique, Damien subit passivement la routine de sa relation avec Iva. Celle-ci, séduite par un autre homme, essaye néanmoins de sauver son couple en impliquant Damien dans une requête familiale. Elle l'oblige à solliciter son père, haut fonctionnaire d'État, afin que ce dernier empêche l'expulsion d'une amie serbe de son frère. Compte tenu des relations compliquées qu'il entretient avec son paternel, Damien échoue sans insister. Alors que tout se trouble autour de lui, il rencontre par hasard Aurore, une jeune femme un peu perdue qui ne semble pas insensible à sa personne.

Avec "Cherchez Hortense", Pascal Bonitzer offre à Jean-Pierre Bacri l’un de ses plus beaux rôles. Le scénario, fort bien écrit, ne fait pas de son personnage un râleur irrésistiblement bougon comme on l'imagine souvent. Il n'est pas étonnant que Jean-Pierre Bacri (connu pour tourner peu et choisir ses rôles) ait accepté sans hésiter d'incarner Damien à l'écran. En effet, ce personnage est à l'image du comédien : un homme très humain dans tous les sens du terme. Un antihéros qui, comme tout un chacun, a ses faiblesses mais dont l'empathie est intrinsèquement naturelle. De plus, "Cherchez Hortense" évoque avec justesse le problème des sans-papiers et les rapports de dominés aux dominants. Deux thèmes très chers à Jean-Pierre Bacri, acteur très engagé en faveur du respect des droits humains.

Gaëlle Bouché

Le Sens de la fête (2017), d’Olivier Nakache et Éric Toledano

Rôle : Max

Parmi ses derniers rôles principaux, celui de Max dans "Le Sens de la fête" d’Olivier Nakache et Éric Toledano s’avère un véritable grand rôle, un personnage à l’humanité affirmée, malgré des aspects trompeurs. Derrière une facette d’homme respectueux mais fatigué, notamment de l’avarice des mariés qu’il a pour clients, il n’a de cesse de râler face aux multiples problèmes qu’il doit résoudre en tant que traiteur, mais aussi responsable de multiples facettes de l’organisation d’un mariage s’annonçant comme chaotique.

Porteur d’un regard cynique salvateur, Max révèle des trésors de bienveillance dans son appréhension des problèmes des autres : serveurs, photographe, beau-frère dépressif, chanteur trop impliqué dans son art... Quoi de mieux que ce rôle de patron chef d’orchestre, à la fois exigeant et réaliste, autoritaire et compatissant, oubliant ses propres intérêts face aux problèmes alentours, pour garder en nous l’image d’un acteur ouvert sur les autres, malgré leurs défauts ou excès ?

Olivier Bachelard

PALMARÈS

© Georges Biard (CC-BY-SA 3.0)

Sans être exhaustif, rappelons aussi le beau palmarès de Jean-Pierre Bacri en termes de distinctions. Côté scénariste avec Agnès Jaoui, ce sont pas moins de 4 César ("Smoking / No Smoking", "Un air de famille", "On connaît la chanson" et "Le Goût des autres") et une autre nomination ("Comme une image"), un prix à Cannes ("Comme une image") ou encore deux European Awards ("Le Goût des autres" et "Comme une image").

Côté acteur, c’est certes un seul César du second rôle ("On connaît la chanson") mais sept autres nominations (comme second rôle pour "Subway" et comme meilleur acteur tout court pour "Kennedy et moi", "Le Goût des autres", "Les Sentiments", "Cherchez Hortense", "La Vie très privée de Monsieur Sim" et "Le Sens de la fête"), ainsi qu’un Swann d’or au festival de Cabourg ("Le Goût des autres").

Jaoui et lui ont également été distingués par l’Académie française pour l’ensemble de leur œuvre avec le prix René-Clair en 2001 et ils ont aussi remporté 3 Molière ensemble, Bacri étant par ailleurs honoré par un Molière du comédien pour "Les Femmes savantes".

Raphaël Jullien Envoyer un message au rédacteur

À LIRE ÉGALEMENT