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Critique Série : UNORTHODOX

Mini-série créée par Anna Winger et Alexa Karolinski, d’après l’autobiographie de Deborah Feldman
Avec Shira Haas, Amit Rahav, Jeff Wilbursch, Alex Reid, Ronit Asheri, Dina Doron, Aaron Altaras…

Première diffusion en France : 2020 sur Netflix
Format : 52 minutes en moyenne par épisode (1 saison, 4 épisodes)
Site officiel : Facebook

Synopsis

Esther Schwarz, dite « Esty », est membre d’une communauté juive ultra-orthodoxe de New York. À 19 ans, malgré la sulfureuse réputation de ses parents (un père alcoolique et une mère considérée comme « folle » et accusée d’avoir « abandonné » sa famille pour vivre en Allemagne), la famille Shapiro consent à accepter un mariage arrangé avec leur jeune fils Yanky. Au bout d’un an de vie commune, Esty décide de fuir à son tour pour refaire sa vie à Berlin…

Critique : Une émancipation à la fois douloureuse et vivifiante

Cette mini-série allemande (en anglais, yiddish et allemand) propose une véritable immersion dans la vie étouffante des haredim (juifs ultra-orthodoxes), et plus précisément dans l’importante communauté de Brooklyn issue de la dynastie hassidique de Satmar. Très documentés, car inspirés de l’autobiographie de l’écrivaine Deborah Feldman qui a aussi collaboré au scénario, les quatre épisodes reconstituent très précisément les rites, coutumes et autres caractéristiques de ces « craignant-Dieu » jusqu’au-boutistes.

Comme c’est précis mais sans didactisme, cela peut paraître obscure sur certains aspects, qui demandent aux spectateurs de se renseigner pour comprendre des détails – sans que cela ait de conséquences sur la compréhension globale si l’on ne fait pas la démarche de chercher de plus amples informations. C’est par exemple le cas dès le début, qui évoque l’érouv, c’est-à-dire une limite symbolique qui entoure une zone dans laquelle les juifs pratiquants ont, lors des jours de chabbat, le droit de faire des activités ou gestes qui sont normalement interdits. Ainsi, dans la scène concernée, des femmes empêchent l’héroïne de sortir avec son sac car l’érouv (un fil tendu entre deux poteaux) est cassé, donc cela ne permet pas de porter un objet d’un domaine public à un domaine privé.

Même sans comprendre le pourquoi de cette séquence, on cerne l’essentiel : la pression sociale pesant sur chaque membre de cette communauté. On ressent donc très rapidement, et presque viscéralement, tout le poids des traditions et des interdits qui pèsent sur le personnage d’Esty, pour qui on éprouve immédiatement une immense empathie. La bonne idée de mise en scène réside ensuite dans un aller-retour régulier entre New York et Berlin, entre le quotidien qu’Esty a fui et la nouvelle vie qu’elle essaie de construire en Allemagne. Les flashbacks s’insèrent avec une grande fluidité, nous permettant d’intégrer la façon dont elle s’est progressivement éveillée et détachée.

Même si l’on se dit aisément que, avec de telles pratiques, la religion est un vrai poison, il n’y a guère de gourou cruel ni de vrai « méchant ». Tout en choisissant un point de vue très critique vis-à-vis de la religion – et un discours par ailleurs féministe et pro-LGBT – "Unorthodox" ne juge pas ses personnages, montrés comme prisonniers de leur éducation, de leurs habitudes et de leurs peurs. On peut ainsi être surpris d’avoir de la compassion pour le mari quitté ou pour son cousin franchement déviant, car tous deux sont également désarçonnés, ils s’interrogent et perdent en partie le sens de leurs croyances et traditions, ils poursuivent des quêtes et des rites qui les dépassent, parfois plus par habitude et mimétisme que par réelle conviction. On sent finalement que tous les personnages souffrent et on n’a envie de blâmer personne, mais plutôt de leur dire de suivre le chemin d’Esty.

Si l’on flirte parfois avec quelques clichés du film romantique ou même du teen movie (la bande d’étudiants de Berlin a parfois quelque chose de mièvre), "Unorthodox" jongle habilement avec l’ombre et la lumière, ne basculant ni vers le drame sordide ni vers un happy-end trop marqué, permettant ainsi aux personnages comme aux spectateurs de ressentir à la fois souffrance et espoir. Si la musique fait figure d’exutoire (tant la musique classique que les chants traditionnels ou des styles plus contemporains comme avec le groupe Catnapp dans l’épisode 3), la liberté vient aussi d’un retournement géographico-culturel à la fois enthousiasmant et ironique : l’Allemagne est un potentiel eldorado pour les juifs qui veulent s’émanciper de leurs traditions. Cela pourrait apparaître comme une ficelle scénaristique grossière, mais il convient de souligner qu'il y a bien un véritable phénomène de migration de juifs (notamment jeunes et modernes) vers l’Allemagne – dont Deborah Feldman elle-même.

Quant à Esty, c’est bel et bien l’un des atouts majeurs de cette mini-série. Ce petit bout de femme, qui semble à la fois si fragile et déterminée, est incarné à la perfection par l’actrice israélienne Shira Haas (notamment vue dans le film "Foxtrot"). Proposant une gamme de jeu très variée, elle impressionne notamment par l’incroyable subtilité des expressions faciales et de son regard. Du haut de son mètre 52, elle porte et emporte son personnage dans des séquences aux ambiances variées, véhiculant des émotions fortes et diverses : colère, détresse, joie, éblouissement… Grâce à Shira Haas, on entre de plein fouet dans la perception des bouleversements que connaît la jeune Esty, dans ses doutes comme dans ses certitudes, dans ses peurs comme dans ses espérances, dans ses regrets comme dans sa soif de liberté. Et ce personnage semble ensuite ne plus nous quitter.

Raphaël Jullien Envoyer un message au rédacteur