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ABUS DE BOUQUINS : Mémoires d’un inclassable

Acteur, homme de radio et de télévision, auteur d’ouvrages sur des sujets variés… Il est difficile de définir Christophe Bourseiller ou de le classer dans une catégorie. C’est à cela (entre autres) qu’il réfléchit dans un livre autobiographique paru en 2017, qui ne concerne donc que partiellement le cinéma. De quoi nous permettre, peut-être, de cerner cet homme insaisissable.

Dans les tous premiers chapitres, on découvre un récit amusant en marge du tournage de "Clara et les chics types" (1981). On s’attend donc à une succession d’anecdotes dans des textes courts et possiblement cocasses – peut-être instructifs, mais on les espère avant tout amusants et bien narrés. Si "Mémoires d’un inclassable" ressemble souvent à un catalogue de souvenirs épars et hétérogènes, du plus drôle au plus insignifiant, il s’avère parfois pénible à lire, car l’absence de véritable hiérarchisation permet difficilement à l’auteur de donner une cohérence à sa propre vie et de faire des ponts entre ses expériences ou ses relations. Christophe Bourseiller donne l’impression de vouloir être exhaustif pour laisser la trace de sa mémoire foisonnante et de son parcours ô combien riche – et fascinant, il faut bien le reconnaître. En fait, il est difficile de lui en vouloir et ce désordre est même compréhensible. Comment parvenir à trouver une structure avec une telle existence ? Comme il le dit lui-même, « [sa] vie est devenue, comme [il] le souhaitai[t], une œuvre expérimentale », avec pour « méthode » la volonté de « conduire au hasard et sans guidance par satellite ».

Dans cette liste à la Prévert, parfois indigeste et tantôt franchement ennuyeuse, on s’y perd un peu dans la galaxie des proches et des fréquentations de Bourseiller. L’auteur semble d’ailleurs en être un peu conscient, si l’on en croit le titre d’un des premiers chapitres : « Les pièces éparses du puzzle ». Dans cet ensemble plutôt foutraque, on peine donc à trouver un intérêt constant, même si l’on a démarré la lecture avec enthousiasme, et on a parfois le sentiment que Christophe Bourseiller écrit trop souvent pour lui-même plutôt que pour ses lecteurs.

En tout cas, il est clair que le mot « inclassable » est approprié pour le définir, et le livre échoue à le cerner vraiment, tant il a de facettes. Que cachent les apparences de bonhommie mi-joyeuse mi-mélancolique que le public connaît ? Au fil des pages, on découvre une personnalité complexe. En effet, ce livre brosse l’autoportrait d’un homme partiellement grignoté par certaines souffrances et frustrations, voire par des remords et des aigreurs. Dès le départ, on comprend ainsi que son histoire familiale n’a pas été facile, que son enfance a été assez solitaire, et on saisit régulièrement les difficultés qu’il a eu à trouver sa place, tant parmi ses proches qu’au sein des divers milieux qu’il a côtoyés. On a souvent cette impression qu’il traverse des lieux, des évènements ou des groupes en étant avant tout un spectateur, un observateur en marge, comme s’il était un acteur secondaire de sa propre vie et de ce qu’il nous raconte.

On sent un vrai besoin, insuffisamment assouvi, d’amour et de reconnaissance, au point de faire naître en lui des réactions et sentiments qui flirtent avec la misanthropie, comme dans ses diatribes envers les journalistes (alors qu’il en est plus ou moins un lui-même, même s’il rejette le qualificatif) ou contre Wikipédia (dont il n’a manifestement pas essayé de comprendre le fonctionnement). Ces critiques sévères révèlent quelques haines irraisonnées et une part d'amertume, aux côtés d’animosités plus compréhensibles et plus cohérentes avec sa façon de penser (contre l’extrême droite par exemple).

© Albin Michel / Roberto Frankenberg

L’exercice autobiographique est foncièrement délicat et Christophe Bourseiller finit par incarner cette difficulté à écrire sur soi, tant il paraît constamment en équilibre sur un fil ténu qui vacille entre modestie et auto-congratulation, entre simplicité et snobisme, ou entre ouverture d’esprit et agacement... Il se montre toutefois assez lucide sur son parcours, sur son caractère ou sur l’image qu’il peut renvoyer, comme lorsqu’il explique que sa « timidité maladive passe pour de l’humour anglo-saxon ». Globalement, il fait preuve de fierté plus que de prétention, et il montre même une réelle aptitude pour l'autodérision.

Si l’on est captivé par sa culture, son éclectisme et son apparente hypermnésie, s’il on est étourdi par le nombre impressionnant de personnalités qu’il a fréquentées, s’il on est admiratif de la « polyphonie créative » qu’il revendique, la mélancolie sous-jacente, omniprésente, plombe souvent ce récit décousu qu’on espérait plus radieux.

Un malheureux paradoxe apparaît au fil du livre : alors que Christophe Bourseiller a tout pour être un véritable artiste multi-facettes, ou une sorte d’humaniste des temps modernes, doté d’une grande sensibilité et de compétences variées, il semble inadapté aux milieux qu’il fréquente ou aux normes en vigueur, au point de ne pas toujours pouvoir exploiter ses talents. C’est par exemple le cas pour sa carrière d’acteur, car il confesse qu’il ne s’accommode pas de la règle des vidéos envoyées pour les castings et que les rôles obtenus durant sa carrière n’ont pu lui être attribués que par l’intermédiaire de « méthodes artisanales », c’est-à-dire des rencontres en chair et en os avec les réalisateurs.

Il est aussi pleinement conscient de l’embarras qu’il peut susciter quand on tente de le définir ou de le mettre dans une case, tout en revendiquant ouvertement ce côté indéfinissable : « Je me suis rendu indécryptable, indéchiffrable, inacceptable et inclassable… Mon crime ? J’ai ballotté au gré des vents, j’ai humé les parfums de traverse. Devrais-je battre ma coulpe ? Non, la curiosité sans bornes ne sera jamais un vilain défaut. »

Timide et iconoclaste. Touchant et agaçant. Christophe Bourseiller est bel et bien insaisissable, même après la lecture in extenso de ses mémoires. Alors qu’il n’a jamais été une figure de premier plan, il a traversé tant d’expériences qu’il semble n’être chez lui nulle part. Mais si cette autobiographie un peu poussive ne réussit pas non plus à le mettre pleinement dans nos cœurs, il reste plutôt convaincant à propos de ses propres qualités, et notamment sur son expertise dans deux domaines qui le fascinent et le dégoûtent à la fois : les extrémismes et les théories du complot. Deux sujets sur lesquels il a publié de nombreux autres ouvrages, que l’on finit par avoir bien plus envie de lire que ce récit autobiographique.

Informations

Références bibliographiques : Christophe Bourseiller, " Mémoires d’un inclassable", éditions Albin Michel, 2017.

Raphaël Jullien Envoyer un message au rédacteur