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ABUS DE BOUQUINS : Louis de Funès à Paris

Du 15 juillet 2020 au 31 mai 2021, la Cinémathèque française propose une exposition sur Louis de Funès. En parallèle, les éditions Parigramme éditent un nouvel ouvrage de Philippe Lombard, centré à la fois sur l’acteur et sur la Ville Lumière : "Louis de Funès à Paris", sous-titré "Les Aventures d’un acteur en vadrouille".

Durant le confinement, par le jeu des rediffusions télévisuelles, Louis de Funès semble avoir regagné en popularité – même si celle-ci n’est, il faut le dire, jamais redescendue bien bas ! L’exposition de la Cinémathèque et l’ouvrage de Philippe Lombard tombent donc à pic pour redécouvrir la carrière et la vie de cette immense figure de la comédie française.

Dans la lignée de son livre "Paris, 100 films de légende" (que nous avons chroniqué précédemment), Philippe Lombard centre cette nouvelle publication sur la capitale française pour mettre en valeur une connexion régulière entre Louis de Funès et la Ville Lumière. De 1948 à 1980, l’auteur retrace ainsi de nombreuses étapes de la carrière « parisienne » de la star. Sur chaque page, une illustration et un texte viennent donc évoquer un épisode particulier. Si l’explication est à chaque fois succincte, elle a le mérite d’aller à l’essentiel ou d’exposer efficacement une anecdote ou un détail éclairant la carrière ou la personnalité de Louis de Funès.

On sent que l’auteur est archi-documenté, alternant témoignages (de ses fils ou de collaborateurs), citations de la presse d’époque, extraits de dossiers de presse et diverses informations factuelles parfois très précises. Le contenu est également varié. Parfois il s’agit d’une anecdote de tournage, comme le problème musculaire de Louis de Funès à l’épaule sur "Fantômas" (1964). Ailleurs il est question de scènes coupées ou d’intentions scénaristiques abandonnées, comme pour "La Grande Vadrouille" (1966) ou "Le Tatoué" (1968). On a aussi droit à de multiples hommages louant les qualités de Louis de Funès, notamment concernant l’improvisation, sa capacité de travail, son adaptabilité, son rapport aux autres comédiens… Le livre évoque aussi à plusieurs reprises le génie musical de Louis de Funès (qui a été pianiste à ses débuts), par exemple lorsqu'est abordée la scène où il dirige littéralement l’orchestre à l’Opéra Garnier dans "La Grande Vadrouille", ou plus indirectement la précision rythmique de son jeu (notamment pour "Oscar" – la pièce puis le film en 1967).

L’ouvrage ne se limite évidemment pas au cinéma, ni aux seuls grands succès. Philippe Lombard laisse une large place au théâtre, notamment à ses débuts, précisément exposés. On apprend ainsi la façon dont il a, dès 1948, connu Gérard Oury sur les planches, et on comprend au fil des pages que ces années lui ont permis de se forger à la fois un réseau et un talent comique. On cerne par exemple l’importance sans doute capitale d’un incident de jeu qui provoque ses premières improvisations humoristiques au côté de Maurice Régamey (dans le cadre d’une pièce qui n’est pourtant pas faite pour cela : "Un tramway nommé Désir"). En parallèle, ses premières expériences cinématographiques, nombreuses mais plutôt marginales, sont d’abord à peine mentionnées, et il faut attendre "Monsieur Taxi" (1952) pour avoir une première page consacré au 7ème Art.

© Parigramme (couverture) / Lopert Pictures/Getty Images (photo incluse)

L’ouvrage permet donc de saisir l’ascension progressive de Louis de Funès. Le spectacle "Ah ! Les belles bacchantes" (par la suite adapté au cinéma en 1954), avec la troupe des Branquignols, permet une première accélération de sa popularité et de la reconnaissance de ses talents, et on apprend aussi que c’est dans ce cadre qu’il invente « son geste célèbre, les deux doigts visant les deux yeux ». Les échecs ne sont pas mis de côté, d’autant que l’ouvrage montre à quel point ils ont aussi généré du positif pour l’acteur, car ce furent autant de rencontres ou de louanges de la presse pour son jeu. Toutes ces étapes, à succès ou non, ont donc semé de jolis cailloux sur le chemin de sa future gloire.

Si les rôles de Louis de Funès au cinéma restent longtemps secondaires, Philippe Lombard nous éclaire sur la façon dont il s’investit dans tous les personnages qu’il incarne, en étant aussi force de proposition, comme au côté de Fernandel dans "Le Mouton à cinq pattes" (1954) d’Henri Verneuil. Sa participation au film "La Traversée de Paris" (1956) est par ailleurs présentée comme « un des grands moments de [sa] carrière ».

Il convient quand même de noter que, ponctuellement, certains aspects de l’ouvrage sont moins convaincants quand celui-ci semble dévier de son sujet. Ainsi, si Louis de Funès apparaît bien sur les différentes illustrations, quelques textes semblent étrangement l’oublier, comme celui pour le film "L’Impossible Monsieur Pipelet" (1955) qui évoque surtout un incident de tournage pour une scène de boxe qui ne le concerne pas, ou encore l’explication du "Corniaud" (1965) qui s’attarde avant tout sur l’effet de décomposition de la Citroën et sur la célèbre réplique improvisée par Bourvil.

D’autre part, malgré le titre de l’ouvrage, le lien avec Paris n’est pas toujours évident ou explicite, même si l’illustration est parfois auto-suffisante. Il faut souligner toutefois que l’ouvrage fournit de nombreuses précisions géographiques, notamment pour les lieux de tournage, et même quelques éléments pertinents sur le contexte sociétal, comme dans le cas du film "Taxi, roulotte et corrida" (1958). Heureusement, il n’y a pas non plus de hors sujet : comme le livre s’attache seulement à parler de ce qui concerne Paris, il n’y a aucune page centrée sur des films comme "Le Gendarme à Saint-Tropez" (1964) ou "Les Grandes Vacances" (1967) qui sont seulement évoqués dans certains textes – soulignons au passage qu’un index des films et des pièces permet de retrouver toutes les pages les mentionnant. Philippe Lombard parvient également à parler de certains films en se focalisant sur une unique scène parisienne (comme "Le Gendarme à New York" pour la scène dans l’aéroport alors flambant neuf d’Orly) ou sur un événement annexe comme une avant-première ("Fantômas contre Scotland Yard" ou "Le gendarme se marie" par exemple).

Soulignons d’ailleurs un autre intérêt de ce livre qui se permet quelques pas de côté en quittant l’écran ou la scène en direction de quelques évènements plus ou moins publics et anecdotiques (et parfois surprenants), sans verser non plus dans le côté people (il n ‘y a quasiment rien sur sa vie privée, en tout cas pas de photos). L’ouvrage nous parle donc aussi de la participation de Louis de Funès au Salon des arts ménagers en 1957 et 1958, du coup d’envoi d’un « gymkhana des chauffeurs de taxi » en 1958, de son numéro au côté de phoques dressés pour le gala de l’Union des artistes de 1963 puis comme Monsieur Loyal en 1969, de la remise du prix Orange à l’acteur en 1965 (avec un succulent échange entre l’acteur et un journaliste) ou encore des fois où il a été reçu à l’Élysée en 1967 puis pour l’arbre de Noël en 1971.

Enfin, avant une utile bibliographie, l’ouvrage s’achève sur la remise du César d’honneur à Louis de Funès, trois ans avant sa mort. Philippe Lombard choisit de clore son livre par un ultime témoignage avec des mots émouvants de Jean-Claude Brialy. Au final, l’ensemble est un bel hommage à cet immense comédien.

Informations

Références bibliographiques : Philippe Lombard, "Louis de Funès à Paris – Les Aventures d’un acteur en vadrouille", éditions Parigramme, 2020.

Raphaël Jullien Envoyer un message au rédacteur