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ABUS DE BOUQUINS : La Triste Fin du petit Enfant Huître

À l’occasion du prix Lumière 2022 décerné à Tim Burton, revenons sur l’ouvrage "La Triste Fin du petit Enfant Huître et autres histoires" que le cinéaste a publié il y a 25 ans.

ABUS DE BOUQUINS : La Triste Fin du petit Enfant Huître couverture américaine

© William Morrow and Company

En 1997, un an après la sortie de son septième long métrage ("Mars Attacks!"), Tim Burton sort un recueil de poèmes à la mesure de son talent et de sa bizarrerie : "The Melancholy Death of Oyster Boy & Other Stories" (édité en France en 1998 sous le titre "La Triste Fin du petit Enfant Huître et autres histoires"). Ce livre est unique à ce jour car depuis, le réalisateur n’a publié que deux autres ouvrages de dessins : "The Art of Tim Burton" en 2009 et "The Napkin Art of Tim Burton" en 2015.

C’est d’autant plus précieux que le cinéaste est plus un homme d’images que de mots. En effet, quand on observe sa filmographie, il n’est en fait jamais scénariste de ses films (sauf pour certains courts métrages à ses débuts) : au mieux il est à l’origine du concept (histoire et/ou personnages) et d’autres que lui ont développé le scénario. Et même ces cas-là se comptent sur les doigts d’une seule main : "Edward aux mains d’argent", "L’Étrange Noël de monsieur Jack", "Les Noces funèbres" et "Frankenweenie" (ce dernier étant basé sur le court métrage homonyme qu'il avait créé en 1984). Pour tous ses autres longs métrages, Tim Burton n’a donc rien écrit, y compris les œuvres qui pourraient apparaître comme parmi les plus personnelles de sa carrière (par exemple "Beetlejuice", "Ed Wood" ou "Big Fish"). Ainsi peut-on considérer les vingt-trois poèmes de ce recueil comme une exception dans la vie de ce génie du visuel. Il n’est toutefois pas surprenant de constater que les textes sont assortis d’illustrations, dont l'esthétique rappelle évidemment celle de ses films.

Cet ouvrage est donc l’opportunité pour le public de plonger autrement dans l’univers gothique de son auteur. Avec un humour noir – souvent grinçant – les textes sont dignes de cet art consommé de la narration qui caractérise une certaine littérature anglo-saxonne, à mi-chemin entre poésie et conte. Au fil de ces histoires, on peut aisément imaginer une version audio où elles seraient lues par des interprètes issus du cinéma burtonien (on pourrait suggérer Johnny Depp, Helena Bonham Carter, Jeffrey Jones, Albert Finney ou encore Geoffrey Holder).

Sous la plume de Burton, naissent des situations où se mélangent le baroque, le monstrueux, le merveilleux, le tragique et l’absurde. Au centre : des freaks, en grande majorité des enfants, qui font le cruel apprentissage de la marginalité, de la dureté de la vie, du rejet, de l’abandon et, souvent, d’un destin funeste. Au fil des pages, parmi les récits aux longueurs très variables (parfois une unique et courte phrase !), on y rencontre, outre l’« Enfant Huître » du titre (Oyster Boy), un « Enfant Tache » (Stain Boy), une « Fille faite d’ordures » (Junk Girl), un « Enfant avec des clous dans les yeux » (The Boy with Nails in His Eyes) ou encore une « Tête de melon » (Melonhead). La plupart n’ont pas de noms, comme le veut la tradition des contes, et quand quelques-uns ont des identités, ceux-là ne sont pas plus épargnés : James est défiguré, Justine (Sue en VO) est droguée à la colle, Ludovic (Roy en VO) est un « Enfant Toxique » (Toxic Boy)…

À la lecture de ces poèmes humoristico-fantastiques, on est régulièrement déstabilisé par leur atmosphère glauque et par ce qu’ils nous disent de notre monde réel. On peut en effet y voir aisément une satire de l’individualisme, du conformisme ou encore du harcèlement. En fait, le plus dérangeant, c’est quand on se rend compte que ces textes révèlent la cruauté de nos sociétés et la véritable monstruosité humaine – les parents, notamment, sont parmi les vraies sources d'horreur dans ces récits féroces !

Notons enfin trois choses. Évoquons d’abord l’adaptation (libre et partielle) qu’en a tiré Tim Burton lui-même avec une série animée en six épisodes de durées variables (moins de six minutes chacun). Réalisé en animation flash, "Stainboy" est diffusé sur YouTube depuis 2000. Comme le titre l’indique, le héros est donc l’« Enfant Tache » mais on y retrouve d’autres personnages bizarres du recueil ainsi que quelques protagonistes inédits. Le résultat n’est pas pleinement satisfaisant – et franchement pas à la hauteur du recueil – mais l’ensemble est tout de même sympathique (et évidemment étrange). On conseillera surtout les épisodes "The Toxic Boy" et "The Origin of Stainboy".

ABUS DE BOUQUINS : La Triste Fin du petit Enfant Huître couverture française

© 10/18

Ensuite, une anecdote : le recueil est dédié à l’actrice et mannequin Lisa Marie, compagne de Tim Burton dans les années 90, qui a joué dans quatre de ses films : "Ed Wood" (dans le rôle de Vampira, présentatrice et actrice gothique des années 50), "Mars Attacks!" (l’alien qui s’infiltre dans la Maison-Blanche sous l’apparence d’une humaine mâchant du chewing-gum de manière ostentatoire !), "Sleepy Hollow" (Lady Matilda Crane, la mère du personnage joué par Johnny Depp, dans les flashbacks de son enfance) et "La Planète des singes" (Nova, une guenon). Ajoutons la série citée plus haut, "Stainboy", pour laquelle elle a assuré les voix de plusieurs personnages, dont la mère du héros.

Une remarque enfin sur la parution de l’ouvrage en France en 1998 : les éditions 10/18 ont eu la brillante idée d’opter pour une édition bilingue, proposant ainsi le texte original de Burton accompagné d’une traduction par le romancier René Belletto. Le choix de ce dernier peut surprendre puisque cet auteur n’a pas d’autre activité connue ni comme poète ni comme traducteur – on le connaît surtout comme romancier, deux de ses œuvres ayant été adaptées sur grand écran avec "Péril en la demeure" (1984) de Michel Deville et "La Machine" (1994) de François Dupeyron. Pourtant, force est de constater que, dans cet exercice à haut risque, Belletto s’en sort remarquablement, quitte à faire des contorsions avec les rimes mais respectant tout à fait l’esprit des poèmes originaux.

Informations

Références bibliographiques :

  • Édition originale : Tim Burton, "The Melancholy Death of Oyster Boy & Other Stories", William Morrow and Company, 1997
  • Édition française bilingue : Tim Burton (traduction de René Belletto), "La Triste Fin du petit Enfant Huître et autres histoires", éditions 10/18, 1998
Raphaël Jullien Envoyer un message au rédacteur

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