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WAR INC.

Un film de Joshua Seftel

La démocratie pour les Nuls

Brand Hauser, tueur à gages sans scrupules, est engagé par le président d'un groupe américain implanté au Turakistan pour liquider Omar Sharif, un magnat du pétrole. Pour approcher sa cible, il se fait embaucher pour surveiller le mariage de la Britney Spears locale, Yonica...

Il y a, dans « War Inc. », plusieurs séquences hallucinantes qui témoignent de la vitalité critique du cinéma américain actuel, toujours prêt à ruer dans les brancards. La production d'un tel film relève quasiment du miracle, tant son sujet brûlant (une armée privée au service d'une multinationale américaine, Tamerlane, occupe un pays imaginaire du Moyen-Orient à cheval entre l'Irak et les anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale), mêlé à une ironie sans limites que ne désapprouverait pas un Verhoeven, bête noire des financiers yankees depuis « Starship Troopers » et ses sarcasmes fascisants, prend le contre-pied de l’idéologie dominante.

Cet effarant vivier géopolitique réunit un dirigeant impudique, un tueur à gages drogué à la sauce piquante, une chanteuse pop rebelle au sexe dégoulinant, des tanks flanqués de panneaux publicitaires, des vidéastes amateurs devenus terroristes par désœuvrement, une troupe de danseuses à prothèses, un psychologue par téléphone, etc. Ce « bestiaire », impressionnant, est prétexte à toute une série d'événements improbables et de situations surréalistes, comme ce moment où les soldats de Tamerlane apportent à John Cusack un ballot de linge propre dans un tank qui ravage au passage une partie de la ville.

La violence de la critique politique érigée ici n'a d'égale que l'indifférence morale de Hauser, homme désabusé qui ne croit plus en rien et refuse de prendre parti pour une cause ou pour une autre. Ni pour, ni contre, bien au contraire – voilà qui pourrait être sa devise. Efficacement interprété par (le trop sous-estimé) John Cusack, Hauser porte sur ses épaules désenchantées le poids des désillusions massives du film, entouré d’une journaliste idéaliste (incarnée par la beauté de Marisa Tomei) et d’une chanteuse pop dont le style indécent et grossier dissimule un cœur en or (Hillary Duff), les trois protagonistes ainsi réunis formant une improbable famille politique : le blasé de tout, la naïve crédule et l’innocente à initier aux choses de la vie. Chacun, à sa manière, va découvrir que l’existence réserve quelques surprenantes découvertes, à l’opposé de ses croyances habituellement admises.

Avec « War Inc. », nous assistons à ce qui pourrait bien être le point de départ d’une vague nouvelle de contestation cinématographique au sein du système de production américain, basé sur l’idée que la transgression des idéaux politiques et moraux est devenue virtuellement caduque, et que la critique argumentée (celle de l’impérialisme des grandes firmes privées, en l’occurrence) doit laisser place à une forme plus cynique et désabusée, constituée d’un mélange de railleries acides et d’humour pince-sans-rire.

Il y a, chez Joshua Seftel, un profond dégoût pour cette société sur laquelle il tire à boulets rouges, et de façon naturelle ce dégoût, métamorphosé en moquerie, prend rapidement le dessus sur la dénonciation. C’est là le défaut essentiel de cette farce agressive : quand la forme reste totalement dépendante du fond, et que ce fond n’a d’autre issue narrative que son principe même (à savoir la destruction systématique des idéologies qui opposent Occident et Moyen-Orient), alors l’ensemble apparaît curieusement vain. Amusant et juste, mais dénué de transcendance. Tout cela est idéalement résumé par l’un des personnages secondaires, acolyte d’une équipe de vidéastes transformés en terroristes d’un improbable Djihad, qui ne croit en fait à aucune cause sinon celle de l’image cinématographique.

Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur

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