VERMIGLIO OU LA MARIÉE DES MONTAGNES
Entre rudesse et tendresse
À la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans un village du Nord de l’Italie, vit une famille nombreuse, dont le père est l’instituteur local. Lucia, la fille aînée, tombe amoureuse de Pietro, un jeune soldat déserteur ayant trouvé refuge dans le village…

Dès les premières images, le film, lauréat du Grand Prix à la dernière Mostra de Venise, nous saisit par sa beauté picturale, digne de tableaux de scènes rurales de la Renaissance ou du naturalisme du XIXe. Cela nous plonge immédiatement dans la rudesse campagnarde de cette Italie alpine, qui plus est dans un contexte de Seconde Guerre mondiale certes absente de l’image mais qui plane sur ce village et hante les conversations et les esprits. Les effets de la guerre ne sont toutefois pas le sujet principal du film, mais plutôt l’un des fils qui tissent le récit et son cadre. "Vermiglio ou La Mariée des montagnes" est en effet parcouru par un certain nombre de thèmes et réflexions, sans insister sur un aspect particulier. C’est à la fois la force du film – une richesse de sujets – et sa faiblesse – avec cette impression, parfois, de ne rien approfondir voire de rester à la surface des choses.
Avec subtilité, le long métrage de Maura Delpero évoque tantôt la morale religieuse (entre autres à travers le bouleversant personnage d’Ada, la deuxième sœur, qui réfrène ses désirs lesbiens en s’infligeant elle-même des punitions cruelles), le patriotisme (à travers la question des déserteurs), le régionalisme (avec les personnages qui maîtrisent mal l’italien) ou encore l’éducation (le père étant un instituteur qui veut décider et façonner les ambitions de ses élèves et plus particulièrement de ses propres enfants). La thématique centrale reste toutefois la condition féminine, dans son rapport aux attitudes paternalistes (le père l’est clairement, avec toute l’ambiguïté que cette posture suggère, à mi-chemin entre conservatisme et modernité), dans la question du rôle des femmes dans la société (la mère enchaîne les grossesses à n’en plus finir, alors que la plus jeune sœur est promise à des études brillantes qui lui permettraient d’envisager une bien meilleure indépendance), dans la gestion du désir (assumé pour Lucia, étouffé pour sa sœur).
On pourrait regretter que Maura Delpero n’évoque ni le contexte fasciste ni la minorité germanophone de son Trentin natal (alors qu’elle met en avant une autre minorité linguistique avec des dialogues en ladin), mais cela aurait ajouté d’autres thématiques secondaires et renforcé le sentiment évoqué plus haut que "Vermiglio" ouvre peut-être trop de pistes. Au final, le rythme, la relative froideur de la photographie, et surtout l’accumulation de souffrances et autres désillusions pour les personnages, rendent ce film âpre, voire étouffant, bien que la réalisatrice filme ses personnages avec une vraie tendresse. On en sort le cœur lourd, mais avec le sentiment d’une œuvre plutôt maîtrisée et parfaitement interprétée (on souhaite au passage un bel avenir à Martina Scrinzi, qui commence ici sa carrière cinématographique avec brio).
Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur