UNE CHRONIQUE AMÉRICAINE
Identification d’une faille
Synopsis du film
A deux reprises, le cinéaste italien Michelangelo Antonioni a tenté de réaliser un film américain à partir d’un scénario coécrit avec le scénariste Rudy Wurlitzer. Un projet avorté et enterré dont les historiens et la presse spécialisée n’ont étrangement jamais fait mention dès qu’il s’est agi de revenir sur l’œuvre de ce très grand cinéaste. C’est au travers d’une forme hybride, mêlant documentaire et récit au futur antérieur, que ce documentaire tente de combler ce vide en revenant sur les détails de ce mystérieux projet de film, intitulé « Two Telegrams« …
Critique du film UNE CHRONIQUE AMÉRICAINE
Dès les premiers plans, on s’interroge : qu’est-ce que l’on est en train de regarder ? Des images piochées chez Antonioni ? Des plans authentiques tournés par les réalisateurs de ce documentaire ? D’hypothétiques chutes de ce film non concrétisé ? Le dossier de presse donne certes l’explication, en précisant le désir de ce duo de réalisateurs d’extrapoler librement sur ce qu’aurait pu être ce fameux projet maudit du cinéaste de "Blow-Up" et de "Profession : Reporter", et le découpage narratif de leur film appréhende très clairement les deux phases de tentative de concrétisation de ce projet sous le terme d’« obstinations ». Reste que si le résultat pouvait s’inscrire dans cette lignée de documentaires centrés sur des films jamais tournés (d’aucuns estiment qu’il peut s’agir des meilleurs « making-of » jamais tournés), les informations transmises sont trop succinctes, pour ne pas dire carrément quelconques au regard de ce que l’on peut entendre en général dans des bonus DVD, pour susciter le moindre début de fascination. Plus problématique : si l’intention était de se mettre au diapason du style d’Antonioni, il manque ici clairement ce qui existait continuellement chez le génie italien : la forme au service du fond.
On peut déjà s’estimer peu stimulé par cette voix-off monotone, laquelle se borne à raconter vaguement le sujet et le contenu de ce fameux scénario (jugé par certains comme une sorte de « pamphlet politique et subversif contre le système américain ») et tente in fine un état des lieux d’un 7ème Art qui changerait en même temps que le monde (bonjour la lapalissade !). Les autres voix du récit, liées aux interviews en plan fixe des deux producteurs attachés au projet (d’abord le roublard Paulo Branco, ensuite le précieux Stéphane Tchalgadjieff), ne font que mettre en avant les difficultés rencontrées au fil du temps, et quiconque sait un minimum comment fonctionne Hollywood (en particulier les studios et les agents) ne sera pas surpris une seconde des révélations en question. Des interviews qui, signalons-le, sont ici majoritairement traitées et découpées sous forme de blocs uniques, donc très peu réparties et éparpillées tout au long du flux d’images qui inondent la majorité du découpage. Et là-dessus, difficile de se sentir concerné par un tel panel de plans anodins shootés en pellicule et d’archives télescopées à la hussarde (concours de beauté, discours de Nixon, transparences d’ébats érotiques, manifestation sociale en pleine rue, courses de voiture à travers le désert…), glanées on ne sait pas où et agencées de telle sorte sans qu’on sache vraiment dans quel but.
Y avait-il le désir de trouver un supplément d’ordre visuel à un récit exclusivement tangible par le son, et ainsi, de donner une vague idée des images qui auraient pu constituer ce film d’Antonioni ? On en doute fort, dans la mesure où ces images sont en opposition frontale avec celles, avant tout sensitives et architecturales, que le cinéaste italien avait coutume de concevoir d’un film à l’autre. On sent surtout que, face à une matière documentaire assez pauvre (n’y avait-il donc rien d’autre à dire sur ce fameux projet maudit, hormis son synopsis et ses difficultés de production ?), les deux réalisateurs ont senti le besoin de meubler le plus possible. Sauf que remplir du vide avec du creux n’a jamais été la meilleure esquive qui soit. Et à côté de ça, des instants pseudo-référentiels font office de cache-misère, histoire d’entretenir un minimum de rapports avec le cinéaste dont il est question, que ce soit un plan de voiture qui roule en plein brouillard (écho direct à la scène la plus célèbre d’"Identification d’une femme") ou des plans larges sur de vastes zones urbaines et de hauts buildings américains (corrélation frontale avec la première partie de "Zabriskie Point"). En tant que bonus DVD d’un coffret consacré à Antonioni, ça aurait très bien fait l’affaire. Mais au cinéma…
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur