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UNE BOUTEILLE À LA MER

Un film de Thierry Binisti

Password et checkpoint

Tal est une jeune française installée à Jérusalem avec sa famille. À dix-sept ans, elle a l’âge des premières fois : premier amour, première cigarette, premier piercing. Et premier attentat, aussi. Après l’explosion d’un kamikaze dans un café de son quartier, elle écrit une lettre à un Palestinien imaginaire dans laquelle elle exprime ses interrogations et son refus d’admettre que seule la haine peut régner entre les deux peuples. Elle glisse la lettre dans une bouteille qu’elle confie à son frère pour qu’il la jette à la mer, près de Gaza, où il fait son service militaire. Quelques semaines plus tard, Tal reçoit une réponse d’un mystérieux « Gazaman »…

Il y a des films qui font débat. On entend déjà, à propos de l’opus de Thierry Binisti, des reproches quant à sa naïveté, sa morale trop lisse. Pourtant, force est de constater qu’aborder le conflit Israelo-Palestinien à travers le regard d’adolescents était un pari dangereux. Pari réussi surtout, avec un film dont on se souvient, servi par des acteurs remarquables. À l’instar de l’auteur de bandes dessinées Guy Delisle, qui évoque dans « Chroniques de Jérusalem » son expatriation et ses interrogations quant à l’opposition qui perdure, le film transcrit avec justesse la violence quotidienne dont le couperet tombe au hasard des rues.

Une bouteille à la mer, quoi de plus désuet ? Un geste totalement vain, que seul l’espoir et l’idéalisme de la jeunesse peuvent expliquer. Le web prendra le relais, an 2000 oblige. Le cinéaste s’immisce parfaitement à cette époque de la vie où l’on jongle entre quête d’absolu et désir de normalité, de se fondre dans la masse. L’inexplicable, l’insoutenable, telle cette violence sourde, aux confins de l’absurdité, ne peut être toléré. Par personne certes, mais Thierry Binisti montre du doigt l’espoir de changement que véhiculent ces jeunes, opposés aux adultes qui se sont habitués au pire et n’osent aspirer au meilleur. La correspondance entre Tal et Naïm oscille entre le fond et la forme, à savoir un réel désir de connaître l’Autre et une maladresse qui parasite parfois le contenu.

Ce film est souvent présenté comme un excellent outil pédagogique aux collégiens et lycéens. On imagine en effet aisément qu’il détient la recette justement dosée pour une appréhension du contexte historique et idéologique, tout en évitant d’être trop sombre. Car Tal et sa famille sont des français émigrés en Israël. Elle et ses amis vont dans les cafés, se font des piercings, font la fête et tombent amoureux. La prise de conscience est violente lorsque à Gaza, un simple contact avec Jérusalem vaut à Naïm d’être soupçonné d’activisme et de subir une séance de torture.

Le film évite également l’écueil du manichéisme, car au-delà de la prise de parti, les personnages qui entourent le duo principal sont avant tout des emblèmes, des symboles d’un système (le frère de Tal est dans l’armée, la mère de Naïm est infirmière). Personne n’est érigé en héros ou en coupable, une nuance qui va peut-être de soi, mais qui est souvent délicate à maintenir dans un film comme celui-là. Le film est construit d’après le roman de Valérie Zenatti, « Une bouteille dans la mer de Gaza », expliquant ainsi le recours au registre épistolaire et une narration en duo qui berce délicatement le récit. Le rôle de la langue française est notable et tout à fait intéressant, en ce qu’il permet à Naïm d’entrevoir une hypothétique porte de sortie. La mise en scène n’offre pas de séquences inoubliables, néanmoins on retiendra tout de même de beaux plans de ce mur de sept cent kilomètres qui sépare les populations, et de cette mer qui, censée relier les peuples, est la même pour tout le monde. Le film a reçu notamment le prix du Meilleur Film au Festival de Saint Jean de Luz (Festival des jeunes réalisateurs), une belle récompense pour le second long-métrage du réalisateur. Affaire à suivre…

Camille ChignierEnvoyer un message au rédacteur

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