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UN VOYAGE

Un film de
Avec

Mortelle randonnée

Ce voyage auquel nous convient Samuel Benchetrit, Anna Mouglalis et Yann Goven durant quatre-vingt-dix minutes, s’apparente moins à une balade de santé qu’à un périple vers l’Enfer, sans préparatifs et sans escale. Qu’il soit pavé d’excellentes intentions – l’Enfer – n’empêche pas ses dalles d’être brûlantes et son atmosphère viciée, ses habitants monstrueux et ses tortures nombreuses. Samuel Benchetrit a beau être un cinéaste que l’on aime suivre ("J’ai toujours rêvé d’être un gangster" ou "Chez Gino") et un franc-tireur au milieu de la langueur du cinéma français, ses intentions ont beau être les plus honnêtes possibles et son humilité touchante, rien ne peut sauver "Un voyage" du naufrage artistique que sa longue et difficile conception laissait augurer. Non pas que le tournage fût long ou chaotique à la façon d’"Apocalypse Now" – il ne dura que trois petites semaines, et avec des comédiens que le réalisateur a l’habitude de diriger. Mais il fallut deux années à Benchetrit pour venir à bout du montage, entre changement d’angle artistique et chamboulements dans sa vie personnelle. Inabouti et construit comme un château de cartes branlant, le film n’en paraît que plus pathétique. Il semble avoir été expulsé comme le dernier souffle d’un auteur qui, en toute bonne foi, n’a pas su voir que les rushes entre ses mains constituaient les maillons d’une chaîne grotesque et bancale.

Il ne s’agit pas de gloser inutilement pour tenter de comprendre si « Un voyage » est bien le film que Benchetrit aurait dû faire ou pas – il serait absurde de transformer le travail critique en une interrogation sur le bien-fondé d’une création artistique – mais de questionner la valeur de l’objet abouti en le comparant aux intentions du réalisateur. Du désir d’effleurer un sujet complexe et sensible, Benchetrit a tiré une œuvre funambulesque, constamment perchée par-delà le réel et perpétuellement en déséquilibre au-dessus du vide. Attirée alternativement vers l’extravagance et vers le ridicule, au gré des secondes qui passent, la démonstration, concentrée sur deux protagonistes – Mona / Anna Mouglalis et Daniel / Yann Goven – tourne rapidement en rond avec l’absurdité d’un chien cherchant à se mordre la queue. Et le spectateur de s’interroger – légitimement – sur le choix du réalisateur d’avoir démarré son récit par un monologue de Mona annonçant sa mort imminente. Comme s’il fallait absolument expliquer, a priori, toutes les dérives psychologiques à suivre (les réactions clownesques des deux personnages partout où ils passent, jusqu’à leur imitation insupportable d’un couple de singes en pleine montagne) par cette mise à distance du public en regard du tragique amené à clore le film.

Si l’on sent, à de rares occasions, poindre la beauté des intentions premières, "Un voyage" abîme inexorablement ses héros dans des sables mouvants grand-guignolesques, sans que personne ne soit là pour leur tendre la main et les tirer de la vase. En voulant forcer le réalisme (caméra à l’épaule, pas de musique, lumières naturelles, etc.), Benchetrit dédramatise des situations qui eussent gagné à tendre vers le tragique plutôt que vers l’authentique. L’ultime scène, touchante, n’y changera rien : on aimerait que ce voyage n’ait jamais eu lieu.

Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur

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