UN POÈTE
Le dormeur du bitume
Synopsis du film
Óscar Restrepo, est un poète pour qui le succès n’est jamais arrivé. Lorsqu’il rencontre une adolescente d’un milieu populaire possédant un don indéniable pour l’écriture, il l’exhorte à se présenter à un concours national. Mais rien ne va se passer comme prévu…
Critique du film UN POÈTE
Simón Mesa Soto est indéniablement un habitué de la Croisette. Reparti en 2014 avec la Palme d’Or du court-métrage pour "Leidi", et ayant connu les honneurs d’une sélection à la Semaine de la Critique pour son premier long, "Amparo", le revoici à nouveau en 2025, avec cette fois, une invitation au Certain Regard, dont il est reparti avec le Prix du Jury. Pas besoin de laisser planer un doute, "Un Poète" est un grand film, une merveille d’écriture, une pépite comme on les aime, imprévisible et tellement jouissive.
Oscar est un poète. C’est en tout cas le sobriquet par lequel tout le monde le désigne. Après avoir publié deux recueils, il est en effet légitime pour lui de se revendiquer du même rang que Verlaine et Rimbaud. Mais le succès n’est jamais arrivé. Est-ce une raison pour refuser d’y croire ? Non. Et ce n’est pas parce qu’il a quarante ans passés, qu’il vit encore chez sa mère et qu’il se met en boule dans son lit lorsqu’on lui demande d’accepter un poste d’enseignant, qu’il ne peut pas devenir le grand auteur qu’il se sait être. Sa rencontre avec une adolescente douée avec les vers va bousculer son quotidien.
Portrait d’un anti-héros agaçant, cette comédie dramatique est avant tout une douce réflexion sur les rêves désuets à une époque contemporaine où l’on scrolle plus vite qu’on ne parle. À ce titre, désirer vivre de la poésie apparaît comme presque anachronique, tant l’ère du buzz numérique semble en contradiction avec tout ce qu’incarne la littérature lyrique. La comédie est alors facile, consistant à peindre les contrastes entre un dandy looser et le reste du monde.
Oui, mais "Un Poète" ne choisit jamais les chemins aisés, préférant surprendre le spectateur, transporter son intrigue sur des contrées plus sociales, plus intimes, où Baudelaire laisse sa place à Bourdieu. Car sous ses traits de farce légère, le métrage est aussi une chronique bouleversante du contexte social en Colombie, où certains peuvent se permettre de jouer les auteurs incompris, tandis que les autres devront nécessairement abandonner leurs chimères pour subvenir aux besoins de leurs familles.
Dans la relation qui se noue entre cet homme à la dérive, incapable de se fondre dans le moule, noyant son spleen dans des litres d’alcool, au point de tout oublier dans des blackouts autant honteux que salvateurs, et cette gamine issue d’un milieu populaire, c’est également un récit père-fille qui s’écrit sous nos yeux. Précisément parce qu’il a des difficultés avec la sienne, parce qu’il ne sait pas aimer comme les autres, simplement, il trouve en cette jeune poétesse une progéniture de substitution, une avec qui il ne foira pas tout, car il maîtrise le sujet : la poésie, c’est tout ce qu’il connaît, quand bien même celle-ci ne semble pas hyper emballée par ce concours national. Non, aucun doute, il va l’aider à devenir celui qu’il n’a jamais pu être, l’amener là où lui s’est arrêté si tôt.
Évidemment, la morale se devine : on ne peut pas se sauver soi-même en secourant autrui. Mais l’enjeu du film est ailleurs, il se situe bien plus dans l’humain que dans les fausses leçons de vie. Ici, on ne juge pas les personnages, on les aime, on les capture au plus près des corps, avec cette caméra à l’épaule tremblante et ce grain si particulier. Tout ressemble à un songe, et tout sonne pourtant si réel. Œuvre rejetant la moindre forme de misérabilisme, "Un Poète" est un petit bonbon, amusant et bouleversant à la fois, où chaque protagoniste existe au-delà de sa caractérisation, où l’on a le droit d’aspirer à reproduire des schémas familiaux sans être transformé en cliché.
Comédie de mœurs et peinture touchante d’une certaine classe sociale, où les couvertures s’empilent sur le canapé, où les visages se multiplient devant les écrans de télé, où l’on devient mère avant l’âge recommandé, et où l’on repousse les murs pour vivre sous le même toit, la deuxième réalisation de Simón Mesa Soto est une des très belles découvertes de cette fin d’année. Dans ce cinéma de l’échec, la chute n’est pas antinomique avec la dignité, on se moque sans ridiculiser, on rigole avec et jamais contre, on croit à la naïveté des êtres. Dans cette manière de retranscrire la croyance absolue d’Oscar en la puissance des mots, il y a chez le metteur en scène autant de bienveillance que de cocasserie. À travers lui, il raille probablement ses propres ivresses et fantasmes. En résulte, un pur plaisir cinéphile qui, on l’espère, trouvera le succès dans les salles obscures.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur
