UN PARFAIT INCONNU

Un film de James Mangold

Toujours la même rengaine, and again, and again…

En 1961, un certain Robert Zimmerman, âgé de seulement dix-neuf ans, débarque à New York, au chevet du chanteur et guitariste Woody Guthrie, alors très malade. Très vite adopté par la scène folk de Greenwich Village, celui qui se fait appeler Bob Dylan va multiplier les concerts dans des clubs locaux jusqu’à devenir un phénomène culturel. Une célébrité si lourde à assumer qu’il ne cessera dès lors d’aller à l’encontre de ce que ses fans et ses employeurs attendent de lui…

Dans une scène d’"Un parfait inconnu", il est dit qu’une bonne chanson est une chanson qui fait du bien. Par analogie avec notre art préféré, on doute que le biopic soit un genre qui fasse du bien au cinéma. Parce qu’il n’en finit plus de passer pour la solution de facilité d’un Hollywood plus attrape-tout que jamais, puisant dans la page Wikipédia d’une icône un éternel ressassement des mêmes perspectives thématiques sur la célébrité, l’engagement politique, la transformation d’une société, le façonnement des mythes, on en passe et des meilleurs… De plus, dans la mesure où ce film signe le retour de James Mangold au biopic country-folk vingt ans après "Walk the Line" (à noter que Johnny Cash est ici encore de la partie, interprété par un autre acteur que Joaquin Phoenix), on s’était préparé à l’avance. Et à vrai dire, il n’y avait aucune raison de s’imaginer déçu à l’arrivée, tant le résultat, peu émouvant et très didactique en l’état, peut s’assimiler à un concert dont le programme et l’ordre de passage des invités ne varient jamais d’un iota. Et bien entendu, pour tous ceux qui sont déjà au fait de la biographie de Bob Dylan, de son passé, de son timbre nasillard, de son âme rebelle, de son côté « aspirateur progressiste des sonorités folk » ou même de sa connexion sentimentale agitée avec Suze Rotolo (ici renommée en Sylvie Russo) ou Joan Baez, toute perspective d’un nouvel angle est à exclure d’entrée.

Quitte à faire grincer des dents, on ira même jusqu’à estimer que le biopic apparaît plus lourd qu’autre chose dès qu’il fait l’effort de miser tous ses jetons sur la seule performance d’acteur afin de faire passer la pilule. Ici, en l’occurrence, il n’y a rien à redire sur la prestation de Timothée Chalamet. Oui, la star de "Dune" s’est livré corps et âme pour incarner Bob Dylan avec un art du mimétisme prononcé – et on s’en fiche un peu, parce que cette fréquente assimilation de la salle de cinéma à une visite du musée Grévin a le don de nous irriter. Oui, l’acteur a adapté son look, travaillé sa voix et sa gestuelle, et synthétisé une multitude d’informations pour mieux s’effacer derrière le personnage – et on persiste à croire qu’une simple prestation avec playback aurait aidé à ne pas insister aussi lourdement sur un tel exploit vocal. Oui, Edward Norton et Monica Barbaro sont au diapason dans leurs interprétations respectives de Pete Seeger et de Joan Baez – et on se rend hélas très vite compte qu’ils ne font ici figure que de satellites fonctionnels. C’est toujours la même rengaine : une prestation d’acteur si forte et affirmée qu’elle vient à écraser tout le reste, au point de s’imposer comme l’unique chose à observer. Et les choix scénaristiques de Mangold n’arrangent rien à l’affaire, tant chaque scène a ici l’air d’être pensée et écrite dans le seul but de laisser à un moment donné un personnage saisir sa guitare et entonner une chanson folk dans son intégralité. Le cinéma, ce juke-box qui s’assume ? Non merci.

Reconnaissons toutefois ici la présence de deux points non dénués d’intérêt. D’une part l’intégration au récit du film "Une femme cherche son destin" (réalisé en 1942 par Irving Rapper avec Bette Davis et Paul Henreid) pour servir d’écho à la relation perdue d’avance entre Dylan et Russo – le parallèle est certes un peu trop appuyé mais il a le mérite d’offrir une couche symbolique de plus au récit. D’autre part le parti pris logique – et à vrai dire très prévisible – de traiter les chansons de Dylan en tant que continuité directe des événements les plus marquants des États-Unis durant la seconde moitié du XXe siècle (la crise des missiles à Cuba, l’assassinat de JFK, la guerre du Vietnam, etc…). Avec, pour point d’orgue de ce principe narratif, un vrai moment de grâce positionné pile au milieu du récit, où Dylan entonne son magnifique The Times They Are A-Changin' devant une foule en extase au festival Newport. Une chanson aux paroles si puissantes, chargées de toute cette fibre rebelle et contestataire qui travaillait les couches sociales américaines de l’époque, et dont Zack Snyder avait même fait un très bel usage pour accompagner le splendide générique d’ouverture de "Watchmen". Hélas, c’est aussi un point de bascule à partir duquel le film n’aura plus de belles cordes à gratter.

Dès lors que l’on rebascule sur l’après-révélation de Dylan, qui voit l’artiste archi-intronisé tenter d’échapper à cette célébrité aliénante en se la jouant rebelle de l’industrie folk et entrer ainsi en conflit avec tous ceux qui tentent de le compartimenter, le film ne s’en tient qu’à ce que Hollywood ne cesse de mettre en application dans la grande majorité de ses tentatives de biopic. Soit le second mouvement d’un récit à la rise and fall, qui, au-delà de révéler le caractère contradictoire de toute icône culturelle et/ou médiatique (ça frise aujourd’hui la lapalissade), fait surtout passer son protagoniste pour un électron libre suscitant le rejet, l’admiration, la lassitude ou l’admiration chez tout un chacun. Alors, oui, Dylan n’a jamais cherché à nier ni à freiner sa propre complexité, passant sans crier gare d’un courant musical à l’autre (de la ballade folk au rock agressif) et assumant même sa roublardise avec une forme de provocation que Chalamet réussit très bien à incarner. On sait déjà tout ça. Et ? Et c’est tout.

On attend donc la clôture du récit – et les cartons récapitulatifs qui vont avec – sans grande satisfaction mais sans ennui non plus, ne serait-ce que parce que la réalisation de James Mangold, aussi fonctionnelle et dénuée d’audace soit-elle, déploie un art maîtrisé du storytelling dont ce faiseur hollywoodien reste l’une des plus fortes valeurs sûres actuelles – il suffit de revoir "Copland" ou "Le Mans 66". Ce n’est pas rien… mais ce n’est hélas pas suffisant. Quand un biopic semble à ce point formaté et conformiste tout en se focalisant sur un individu aux antipodes, c’est signe qu’il y a un problème quelque part. En tout cas, Todd Haynes peut dormir tranquille : son "I’m Not There" n’a pas fini de faire référence en tant que percée subjective et composite de la vie et des paradoxes de Bob Dylan.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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