TÓTEM
Une grande finesse d'écriture au service d'un bouleversant portrait de groupe
Sol a 7 ans. Complice avec sa mère, elle s’adonne à de petits jeux où elle retient sa respiration, alors que sa cousine tripote le chat ou monte sur le frigo, en profitant pour nettoyer. Les préparatifs de l’anniversaire de son père, Tona, vont bon train, ses tantes étant particulièrement affairées. Mais Sol ne comprend pourquoi elle ne peut pas voir son père…
Après "La Camarista", sorti en 2019, la réalisatrice mexicaine Lila Avilés nous revient avec "Tótem", portrait d’une famille ample réunie autour d’un homme, le père de Sol : Tona. L’action se déroule dans une grande demeure, où l'on prépare l'anniversaire de cet homme qu’on découvre vite comme épuisé, célébration qui sera prétexte pour d’autres membres, à lui dire au revoir. Montrant des relations familiales complexes, à hauteur d'enfant, la mise en scène impose à la caméra de suivre principalement Sol, petite fille de 7 ans, prise elle aussi dans le tourbillon de préparatifs en apparence chaleureux. Quelques indices viennent cependant casser l’agitation qui règne ici, de l’apparition d’une femme venue chasser les mauvais esprits et donner des conseils pour arranger les lieux (on enlève ici les tableaux qui renvoient à une certaine douleur…), à un aperçu furtif du père sous la douche, visiblement en peine.
Malgré l'ombre de ce père qui planera sur la première partie du long métrage, puisque le personnage n’y aura jamais accès (la route étant en permanence barrée par l'aide médicale qui s'occupe de lui et s'assure qu'il aura assez de forces pour participer, au moins à une partie de la fête), c’est la vie qui est ici filmée, dans ce qu’elle a de bordélique par les relations familiales, de spontané par l’attitude des enfants, et de cruel car elle persiste malgré tout, préparant même ici, l’après. Construits avec minutie, les personnages sont nombreux (jusqu’au grand-père aux problèmes respiratoires, ou au chien dont les réactions semblent raccords...), le subtil scénario de Lila Avilés tissant des relations souvent complexes, utilisant à merveille les non-dits, et révélant par bribes des détails concernant la situation du père.
"Tótem", passé par la compétition du Festival de Berlin 2023, dont il est de manière surprenante reparti bredouille, dispose d'une grande finesse d'écriture. Mais la richesse des émotions qui s’en dégagent doit beaucoup à un casting d'ensemble remarquable, à commencer par la petite Naíma Sentíes, qui incarne avec aplomb Sol, qui au travers de ses jeux finit par se poser des questions sur la fin d’un monde, son monde, alors qu’elle prépare une jolie surprise à son père. Pour sa sensibilité si précieuse, ce portrait d’une famille célébrant une dernière fois la vie, entre prière collective, barbecue et soirée presque apaisée, le film vaut sans conteste le détour. Lila Avilés, elle, rentre dans le club des réalisatrices à suivre de très près.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur