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THE THING

Une « Chose » avant l’autre

En Antarctique, une équipe de scientifiques norvégiens découvre, emprisonné sous la banquise, un vaisseau spatial échoué. La paléontologue américaine Kate Lloyd est débauchée par son ami Adam et le professeur Sander pour se rendre sur place étudier les restes d’une créature extraterrestre échappée de l’astronef et conservée dans la glace…

Il y a deux films dans « The Thing ». Le premier est un long-métrage plutôt honnête du réalisateur hollandais Matthijs van Heijningen Jr. qui, pour sa première réalisation, conjugue huis clos effrayant, mise en scène classique et créature protéiforme particulièrement ignoble. La troupe de comédiens fait bien son boulot – la belle Mary Elizabeth Winstead en tête (vue chez Quentin Tarantino et dans « Scott Pilgrim »), quoique légèrement empâtée – et le suspense autour de la nature de la bestiole fonctionne bien, sans pour autant produire de surprises. Suivant les nouvelles règles du genre horrifique, van Heijningen ne s’embarrasse pas de gants et montre ostensiblement la « Chose », réalisée en images de synthèse, la trimbalant dans tous les coins avec le plaisir visible d’un gérant de foire aux bestiaux. Il multiplie également les jump scares, ces effets sonores un peu idiots qui vous font passer des vessies pour des lanternes, ou d’innocents chats pour des créatures innommables, et privilégie sans fard l’efficacité à la réflexivité. Indépendamment de l’histoire du cinéma, « The Thing » est un divertissement sans prétention et sincère, qui mériterait une note moyenne.

Mais voilà, il y a aussi le deuxième « The Thing », et celui-ci s’inscrit dans une Histoire du cinéma comme dans l’histoire personnelle de chaque cinéphile. Et ces deux histoires ne sont pas dupes. Le studio Universal, refusant de lancer la production d’un remake du film culte de John Carpenter sorti en 1982, a néanmoins accepté d’en faire un prequel, suivant la mode instituée par George Lucas avec « La Menace fantôme » de raconter les origines d’un film à succès. Ce qui n’est pas tout à fait la même chose, selon les producteurs. Cependant, prétendre que cette version de « The Thing » n’est qu’un prequel et pas un remake, c’est comme affirmer que le « Psycho » de Gus van Sant se différencie franchement de celui d’Hitchcock : c’est se moquer du monde. Se dissimulant derrière le prétexte de relater ce qu’il s’est passé avant le long-métrage de Carpenter (soit avant que le chien, poursuivi par des Norvégiens apparemment devenus fous, n’atteigne la base de Kurt Russell et de ses amis), le scénario d’Eric Heisserer se contente de répéter les situations et les gimmicks de son illustre prédécesseur, créant une embarrassante copie presque conforme, à ceci près qu’il y a cette fois deux femmes dans le groupe coincé en Antarctique. Le souci de « l’hommage », comme certains le qualifieront sans doute à tort, pousse même Marco Beltrami à reprendre le thème le plus célèbre de la partition composée à l’époque par Ennio Morricone, ces quelques notes sourdes et effrayantes répétées jusqu’à l’angoisse. Cette copie malvenue, elle, vaut un bon zéro.

Le mensonge qu’est « The Thing » se pose comme un symptôme du manque d’inventivité qui sévit à Hollywood ; en s’évertuant à reprendre les vieilles recettes, les studios en oublient les règles élémentaires d’un bon remake : le choix d’un original médiocre (comme l’était la première version du film réalisée par Howard Hawks et Christian Nyby, « La Chose d’un autre monde », en 1951) et / ou la nécessité de raconter une même histoire en en modifiant les enjeux (voir, à ce titre, les quatre moutures de « L’Invasion des profanateurs de sépulture », toutes au moins intéressantes). Rien de tel ici, « The Thing » n’apportant rien de neuf, reprenant à celui de Carpenter toute la moelle qui en faisait le succès – sans jamais lui arriver à la cheville, comme dans la cultissime séquence du test, « plombée » par son aspect grotesque. Le scénario d’Heisserer est simplement un agglomérat de bonnes idées piquées aux autres – veuillez rendre la scène dans la cuisine à « Jurassic Park », s’il vous plaît – et cela n’a rien d’étonnant, si l’on considère qu’il ne s’est illustré jusque là que dans des suites ou des remakes (« Destination finale 5 », « Les griffes de la nuit »).

Incapable d’exister par elle-même, cette version se débat dans sa propre inutilité pendant une heure quarante, cherchant vainement à prouver son intérêt et poussant le vice jusqu’à éventer tout le suspense de l’opus de 1982, que des spectateurs curieux auraient pu avoir envie de découvrir après-coup. Au final, le film ressemble à la créature qu’il met en scène : protéiforme, instable et vorace, il cherche comme elle à assimiler tout ce qui l’entoure, indifféremment, et survit en se transportant de corps en corps, sans posséder d’identité propre. Selon cette approche, les scientifiques de la base seraient comme des cinéphiles désireux de se débarrasser d’un film informe et agressif qui menace de détruire les corps sains, et qui le traquent afin de l’empêcher de se répandre. Alors soyons courageux et battons-nous pour que cette « Chose » ne se répande pas auprès du public, histoire que le film culte de Carpenter ne soit jamais menacé par son existence.

Eric NuevoEnvoyer un message au rédacteur

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