THE WALL
L'Insoutenable légèreté de l'être raciste
En poste à une frontière de l’Arizona réputée pour être une zone de passage pour les trafiquants de drogues et les immigrants, une agente de la patrouille, Jessica, commet une bavure. Problème, un homme est témoin de la scène. Deux vérités vont alors s’affronter…
Philippe Van Leeuw est un cinéaste rare, usant de sa caméra comme une arme, un miroir sur un monde à la dérive, gangrené par la violence. Après ''Le Jour où Dieu est parti en voyage'' et le huis clos saisissant ''Une Famille syrienne'', le réalisateur passe cette fois de l’autre côté, il abandonne les victimes pour s’intéresser aux bourreaux. Dans ''The Wall'', il retrace ainsi le quotidien d’une certaine Jessica Comley, une agente de la célèbre Border Patrol, une patrouille dont le rôle est d’éviter les franchissements illégaux à la frontière. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle aime son travail : œuvrer tous les jours pour la sécurité du plus beau pays du monde, que demander de plus ? Sur son temps personnel, elle aide sa belle-sœur atteinte d’un cancer, la soulageant en prenant soin de ses neveux. Jessica n’est pas très souriante, mais sa famille pourrait aisément dire qu’elle est serviable et adorable ; son père éprouve lui une grande fierté à voir sa progéniture occuper une telle fonction, un honneur pour celui qui, en amateur, chasse du migrant pour tuer le temps.
Dès que Jessica enfile son uniforme, elle se sent éprise d’un goût pour la justice, sa justice. Car Jessica est profondément raciste. Elle rejette tous ceux qui ne sont pas blancs, ces êtres impurs qui essayent tant bien que mal de pénétrer sur le sol américain. Mais pas sous sa garde. Elle, elle n’hésite pas à tuer un homme de sang-froid bien qu’il soit déjà blessé. De toute façon, son collègue est là pour la couvrir et crier à la légitime défense. Sauf qu’un amérindien et son petit-fils qui passaient par là ne sont pas du même avis. Arrêtés parce que le vieux monsieur était pris pour un passeur, il va pouvoir livrer un témoignage bien différent de la version officielle, faisant basculer le métrage vers un thriller âpre et rugueux où l’essence de l’Amérique est bien plus la haine d’autrui que le pétrole, avec la sécheresse du désert comme un écho à l’aridité des âmes qui parcourent ces paysages.
Frappant et glaçant, ''The Wall'' est un film sans concession, une plongée radicale au sein du racisme ordinaire, celui qui coule dans les veines de manière viscérale. La violence n’est ici pas un exutoire, elle est bien plus terrifiante, l’incarnation d’une banalité où l’on tue sans état d’âme, sans revendication particulière, juste parce que c’est normal de protéger l’Oncle Sam de tous ces envahisseurs. Quid des natifs américains encore très présents sur ces territoires de l’Arizona ? Pas très blancs, donc forcément menaçants. Dans cette folie suprémaciste, la moindre dissemblance est une raison suffisante pour dégainer son arme. Si le côté contemplatif de l’ensemble a tendance à un peu trop appuyer et étirer plusieurs séquences, le métrage demeure un pamphlet maîtrisé contre une Amérique malade, où la rage s’exhale à coups de poings et où le sang coule au nom d’une fureur meurtrière entretenue par l’ex futur président Donald Trump. Autopsie rigoureuse de la xénophobie généralisée, ce western tristement d’actualité ne sonne plus comme un hurlement d’alerte mais comme le constat d’une réalité établie où le qualificatif de fictionnel ne tient plus son sens. Le vrai film d’horreur de cette fin d’année…
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur