THE GRILL

La puissance de l’effet cocotte minute

Dans un restaurant très fréquenté de Manhattan, le Grill, c’est le coup de feu en cuisine du Grill. Parmi les membres de l’équipe, aux nombreux migrants mexicains ou latinos, en attente d’un vrai permis de travail, il y a Pedro, un cuisinier doué mais un peu rebelle, qui ne s’entend pas avec tout le monde et flirte avec l’une des serveuses, Julia. Lorsque le patron découvre qu’il manque de l’argent dans la caisse, tout le monde devient suspect et la tension monte d’un cran…

On est heureux de voir enfin débarquer sur les écrans français, plus d’un an après sa présentation en compétition au Festival de Berlin, l’un de nos longs métrages préférés de l’édition en question, le film mexicain "La Cocina" (« la cuisine ») rebaptisé pour sa sortie "The Grill". Nouveau film d’Alonso Ruizpalacios, auteur d’un remarquable faux documentaire "Notre Histoire Policière" (sorti en France directement sur Netflix), et remarqué en compétition à Berlin en 2018 avec la comédie de braquage "Museo", avec en tête d’affiche Gael Garcia Bernal. De retour avec un casting d’artistes peu connus, hormis Rooney Mara qui interprète la serveuse, il livre ici un film impactant sur le statut de migrants en attente de papiers, entre travail harassant et espoirs vivaces, tout en s’adonnant à une véritable leçon de mise en scène, alliant plans séquences, chorégraphie des corps dans un espace restreint, et véritable discours politique porté autant par l’image que par le scénario.

"The Grill" s’apparente donc à un film choc, dont l’action se situe dans la cuisine d’un restaurant proche de Times Square à New York, et se pare d’un somptueux noir et blanc, à l’exception de petites touches de vert apparaissant dans les derniers plans, dont on devinera la symbolique. Le réalisateur Mexicain se livre ainsi à un portrait de groupe, celui de travailleurs souvent immigrés et sans situation légale, en abordant autant leurs rêves (lors des rares moments d’accalmie pour une pause cigarette dans la ruelle voisine), que le pouvoir supposé émancipateur de l’argent. Un objet sans lequel rien n’est possible aux États-Unis et incarné tout à la fois par son absence (le vol commis en début d’intrigue), que dans la conclusion par une touche de couleur verte clignottante, rappelant autant les billets de Dollar qu’une alarme, signal du danger ou du mirage qu’il représente.

C’est en suivant une immigrée mexicaine (Estela), recommandée auprès d’un des cuisiniers (Pablo), que l’auteur nous introduit en ces lieux, pour nous faire ressentir ensuite toute la pression qui pèse sur les personnes en coulisse. Car derrière un monde policé qu’on verra peu (la salle du restaurant, marqueur d’aisance et de ségrégation sociale), il y a les cuisines, lieu de vie bigarré et multilingue. Alignant avec virtuosité les plans séquences dans des couloirs qui mènent à celles-ci, "The Grill" est aussi un exercice de style, marquant l’entrée de Ruizpalacios dans la cour des plus grands (Cuaron, González Iñárritu), qui marie plans virtuoses, environnement sonore comme signal d’une crise à venir, mais aussi de bienvenues pauses délicatement poétiques (les moments intimes et amoureux, les évocations des rêves des uns ou des autres). Offrant une sorte de miroir politique des USA d’aujourd’hui, avec un microcosme où la langue espagnole devient source de tensions, où les fils d’immigrés agissement comme des parvenus, et où le moindre petit incident peut mener à la catastrophe ou l’explosion, les égos se font face, et l’être humain dévoile ses failles comme ses frustrations. Un film remarquable, porté par le duo Raúl Briones Carmona et Rooney Mara, qui entre amour naissant et argent à portée de main, questionne la suspicion des américains, sans pour autant être aveugle sur les possibles motivations ou tentations pour les migrants.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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