THE FLATS

Un film de Alessandra Celesia

La lente guérison de ceux qui restent

Dans le quartier HLM de New Lodge à Belfast, Joe se remémore le conflit qui déchira l’Irlande du Nord durant plusieurs décennies…

Les « Troubles » ne portent pas si bien que cela leur nom. Utilisée pour désigner le conflit armé qui déchira l’Irlande du Nord à partir des années 60, l’expression est en réalité édulcorée par rapport à la violence des événements, immortalisés à plusieurs reprises sur grand écran, ou en chanson ("Sunday Bloody Sunday" de U2). Si la fiction a déjà donné naissance à de nombreux très grands films sur ce sujet, y compris récemment ("Hunger", "71", "Belfast"), les documentaires trouvant le chemin des salles françaises se sont faits plus rares, comme si les images avaient besoin d’une touche de romanesque pour pouvoir être montrées au plus grand public. Alessandra Celesia ("La Mécanique des choses"), elle, ne se pose pas la question au moment de poser sa caméra au cœur d’un quartier de Belfast.

Si New Lodge est aujourd’hui connu pour ses tours à l’architecture immédiatement reconnaissable de logements sociaux, la zone fut jadis le lieu de multiples affrontements. La cinéaste part à la rencontre des vétérans de cette époque, de ceux qui n’ont jamais réussi à quitter les lieux. D’ailleurs, à quoi cela aurait-il servi pour eux, dont l’esprit est à jamais emmuré dans ces demeures où l’hémoglobine fratricide a coulé ? Si l’on croise différents protagonistes, Jolene, Angie, Sean, c’est surtout sur le visage marqué de Joe que l’objectif s’attarde. Mémoire du quartier, il a pris l’habitude de se remémorer régulièrement, auprès de sa thérapeute, ce qu’il ne peut oublier. Par le prisme de la caméra, l’exercice cathartique ira plus loin, lui permettant de rejouer littéralement certaines scènes de son enfance.

Ode à la résilience, "The Flats" est une chronique humaniste bouleversante, où l’on se reconstruit sur les cendres de son passé, piétinant ces mêmes trottoirs où le sang a séché depuis. Des épisodes personnels, comme la mort d’un oncle où l’on panse le trou béant laissé par un impact de balle pour l’enterrement, à ceux collectifs, notamment le décès de Bobby Sands, le métrage retrace un pan entier de l’Histoire irlandaise, à travers le regard embué de ceux dont les souvenirs n’ont jamais pu s’estomper, la douleur étant encore trop vive, trop présente. Si New Lodge a vu les fusils, hissés pour les idéaux politiques, être remplacés par les armes blanches des petits dealers qui traînent en bas des blocs, les drapeaux républicains continuent à joncher certains balcons. Au cœur de cette citadelle de béton, là où seules les mauvaises herbes semblent pousser, les larmes des êtres rencontrés réaffirment que « vivre malgré » ne veut pas dire « survivre ». Dans cette intimité-là, la leçon n’en est que plus poignante.

Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur

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