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SUIS-MOI JE TE FUIS

Un film de Kôji Fukada

OK, je m’enfuis…

Le cœur de Tsuji balance entre ses deux collègues de bureau, qui ne cessent de le courtiser chacune à leur manière. Un soir, au détour d’une rencontre, il sauve la vie de la jeune Ukiyo, dont la voiture était bloquée sur un passage à niveau. C’est le début des ennuis pour Tsuji, irrésistiblement attiré par cette jeune femme qui ne cesse de le fuir à mesure qu’il essaie de la retrouver, et ce en dépit des mises en garde de toutes les personnes qu’il rencontre…

Suis-moi je te fuis film movie

Si ça continue comme ça, on ne saura bientôt plus comment s’y prendre avec le cinéma de Kôji Fukada. Pas assez attaché à explorer longuement la complexité des sentiments pour égaler celui de Ryusuke Hamaguchi, pas assez bétonné dans ses récentes tentatives animistes pour tutoyer celui de Naomi Kawase, mais surtout pas assez armé au niveau scénaristique pour ne pas accoucher à chaque fois d’un pitch faussement prometteur. "Suis-moi je te fuis" n’échappera d’autant moins à cette tradition que le spectre d’un diptyque monté en miroir (ce que souligne son affiche et la sortie concomitante d’un second film intitulé "Fuis-moi je te suis") n’est même pas au rendez-vous. Loin d’un projet à la Resnais qui viendrait tracer une love-story compliquée entre deux personnages en épousant les deux points de vue à l’échelle de deux films miroitants, le résultat relève d’une sitcom anecdotique en deux parties, la seconde se voulant la continuité « inversée » de la première. Or, après avoir vu le premier film, on hésite très fortement à découvrir la suite – dont la bande-annonce a été habilement casée en fin de bobine comme pour un banal cliffhanger de série télévisée.

Au sein de la sphère critique, il est régulièrement admis que l’analyse d’un film en termes purement conceptuels (mise en scène, cadrage, découpage, choix photographiques…) peut parfois être reléguée à l’arrière-plan quand la seule difficulté à avaler le scénario et la trame centrale constitue le pire blocage qui soit. On expérimente cela de bout en bout avec le film de Fukada, en se demandant sans cesse pourquoi ce scénario ne dure pas plus de dix minutes. Chaque nouvelle scène du film ne fait en effet que répéter la même situation : le garçon rend service à la fille, celle-ci le remercie et s’excuse en lui promettant de lui rendre la pareille, et puis la voilà qui s’enfuit en laissant le garçon en difficulté et en amplifiant encore plus ses soucis personnels, et ainsi de suite… Au vu d’un jeune protagoniste chez qui l’agacement est toujours plus tangible que la fascination (surtout vis-à-vis d’une jeune femme plus menteuse et hypocrite tu meurs), on se demande bien pourquoi il persiste à se ruiner toujours plus et à saccager non-stop son quotidien pour lui venir en aide – là-dessus, l’interrogation récurrente d’un chef yakuza sur cette obstination-là sonne comme une critique involontaire du scénario ! Tout comme on éprouve vite l’envie de quitter la salle à la 29ème fois où la fille remercie, s’excuse et s’apitoie sur son sort – ces trois attitudes, accompagnées par une tête constamment baissée, forgent 95% des dialogues et du jeu de l’actrice.

Les autres enjeux qui viennent épicer la trame centrale (non-règlement d’une location de voiture, irruption d’un mari jaloux, dette envers un clan yakuza, conflit avec une compagne, conflit d’intérêt au travail…) ressemblent ainsi à des bouche-trous narratifs qui font pièce ajoutée au lieu d’éclairer quoi que ce soit. On peine d’ailleurs à croire que la seconde partie viendra éclairer les choses, d’autant que la pauvreté scénaristique de Fukada, la monotonie de son montage et l’ingratitude visuelle de ses cadres (comme si le chef opérateur était sous Xanax) n’ont déjà rien de motivant. Au fond, on dira que le titre du film représente bien ce qu’on a envie de dire au réalisateur : merci, mais non merci.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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