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STAR WARS, ÉPISODE VII : LE RÉVEIL DE LA FORCE

Un film de J.J. Abrams

« George, je suis ton fils ! »

Il y a longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine… 30 ans après les événements qui auront mené à la chute de l’Empire et à la mort de Dark Vador, une nouvelle menace se profile à l’horizon, menaçant à nouveau l’équilibre et la paix dans la galaxie…

Il est enfin là. On l’attendait. On le redoutait. On le fantasmait. On en faisait presque des cauchemars la nuit, se rongeant les ongles à l’idée que le résultat ne soit pas à la hauteur de nos espérances les plus folles. Une situation que les fans nostalgiques ont pu expérimenter il y a déjà quinze ans en découvrant "La Menace fantôme", démarrant par l’extase devant une armada de trailers mémorables avant de s’achever en déconfiture généralisée. Maintenant que George Lucas a choisi de laisser "Star Wars" entre les mains de Disney, qu’allait-il pouvoir se passer ? La Force allait-elle être avec J.J. Abrams, lequel avait déjà réussi à rebooter la saga "Star Trek" de façon assez flamboyante ? Et surtout, après coup, que pouvait-on dévoiler sur le film le plus attendu de la décennie en sachant que le blocus imposé par Disney pourrait nous balancer une fatwa niveau 5 en cas de spoiler ?

À tout prendre, commençons par là, parce que cette information vaut clairement le détour. Une fois n’est pas coutume, on ne peut qu’exprimer nos plus sincères remerciements à Disney et à J.J. Abrams pour avoir entretenu un mystère permanent sur le scénario et les enjeux qui les sous-tendent, histoire de laisser l’effet de surprise agir sur les fans de façon gargantuesque durant 2h15. Car le constat est sans appel : vu le nombre effarant de surprises, de références, de madeleines proustiennes et d’effets de style nostalgiques que l’intrigue déballe à la vitesse-lumière d’un Faucon Millénium, on n’aura aucune facilité à retomber tout de suite en enfance et à tutoyer à nouveau cet émerveillement si pur que Lucas, à sa meilleure période, aura su insuffler chez tant de générations. Jouant à plein régime la carte de la nostalgie et du retour à un style que la prélogie récente n’aura fait que pervertir, "Le Réveil de la Force" est bel et bien un cadeau. Le cadeau d’un cinéaste sincèrement geek à une franchise culte qui l’aura marqué enfant, désormais désireux d’en transmettre à nouveau l’esprit à ses semblables, tout en la transcendant et en ouvrant la saga vers un futur qui s’annonce d’ores et déjà des plus radieux.

Du coup, ne comptez pas sur nous pour rentrer dans le détail de l’intrigue – nous resterons muets là-dessus. Ce que l’on peut faire malgré tout, c’est inscrire cet épisode dans l’évolution d’une saga que l’on pensait pourtant close d’un point de vue purement narratif après "Le Retour du Jedi". On peut aujourd’hui admettre qu’en réalisant "Star Wars" en 1977, George Lucas ne faisait surtout qu’incarner à l’échelle d’un grand spectacle lyrique et opératique ses propres questionnements personnels, nés autant de sa découverte de la thèse du « mono-mythe » (développée par l’écrivain Joseph Campbell dans son livre Le Héros aux mille visages) que de ses goûts cinéphiles (du cinéma de Kurosawa aux "Nibelungen" en passant par le space-opéra à la sauce "Flash Gordon"). En résultait une œuvre marquante de par ses thèmes universels, mais qui avait surtout l’avantage de créer un univers simple, épuré, d’où se dégageait tout un horizon de possibilités narratives que "L’Empire contre-attaque" aura su cristalliser et amplifier avec une tonalité hautement shakespearienne.

Or, a contrario d’une "Menace fantôme" impersonnelle et conçue avant tout pour ratisser large en matière d’effets spéciaux, "Le Réveil de la Force" reprend à tous les niveaux les critères initiatiques de l’épisode IV (désormais connu sous le titre "Un Nouvel espoir"), faisant à nouveau émerger les enjeux de la trilogie d’origine tout en les couplant avec de nouveaux arcs narratifs que les épisodes suivants ne manqueront pas d’enrichir davantage. C’est donc à une approche détournée de l’univers "Star Wars" que nous invite cet épisode VII très intergénérationnel, où la relecture campbellienne se développe d’abord par petites touches imperceptibles tout en prenant vite son envol en dérivant vers une ampleur que l’on n’aurait jamais anticipée. Plus encore, on sent que les scénaristes (dont le génial Lawrence Kasdan, quelle joie !) ont opté pour le ravalement de façade : les personnages laissent le manichéisme loin dans le rétroviseur au profit d’une complexité inédite, la narration prend son temps pour développer chaque arc narratif, la bouillabaisse digitale et les fonds verts de la prélogie laissent la place à des trucages « à l’ancienne » et à de vrais décors, et l’approche spirituelle de la Force redevient enfin l’épicentre du récit (bye-bye les « midichloriens » et autres conneries du même genre !).

Le facteur humain est donc de retour, et le casting y est pour beaucoup. Certes, retrouver les têtes pensantes de la saga originelle aura surtout pour effet de placer les fans au bord de l’arrêt cardiaque toutes les dix minutes, mais pas que. Aux côtés d’une Carrie Fisher empreinte de sagesse, d’un Harrison Ford plus cabotin que jamais (tant mieux !), d’un Chewbacca toujours au top et de nos deux droïdes préférés (faites gaffe, un troisième droïde – bien plus sympathique – fait ici son apparition !), la jeune génération envoie du lourd pour faire monter l’émotion. Adam Driver endosse ici le rôle du méchant principal en lui donnant l’épaisseur d’un Macbeth maladif, John Boyega réussit l’exploit de donner enfin un visage humain et une identité spécifiques aux fameux stormtroopers (idée géniale qui inquiétait pourtant un peu dans la bande-annonce), et surtout, la superbe Daisy Ridley devient ici le fil rouge émotionnel du récit, incarnant par son fabuleux parcours évolutif le chemin lumineux que la saga "Star Wars" va désormais emprunter avec classe.

Et côté spectacle, ça donne quoi ? On va faire simple en disant que George Lucas a bien fait de prendre sa retraite, nous épargnant ainsi son épouvantable mise en scène à base d’acteurs patauds qui bavardent en plan fixe devant un fond vert. Fort de son expérience sur l’action et le rythme, J.J. Abrams offre enfin à la saga ce qui lui manquait : un rythme trépidant qui nous chope dès le premier plan pour ne plus nous lâcher jusqu’à une dernière scène qui nous envoie loin, très loin dans les étoiles de l’euphorie. Rythme hyper-soutenu et batailles spatiales monstrueuses s’enchaînent ici à un rythme hallucinant, riche d’une flopée de plans-séquences immersifs en diable et d’une production design qui s’impose de très loin comme la plus belle de toute l’histoire de la saga. Jamais n’avait-on vu un "Star Wars" aussi riche, aussi visuellement spielbergien, aussi thématiquement incarné. Ce qui ne veut pas dire que le film soit un pur rollercoaster sans aucune respiration. Au contraire : l’univers a tout le temps d’exister, le public a tout le temps pour pouvoir s’y immerger, la jubilation nous tord les tripes sans jamais s’arrêter entre le carton inaugural « A long time ago in a galaxy far, far away » et l’arrivée du générique final. Nous quitterons cet épisode VII avec des larmes – et des étoiles – plein les yeux. Difficile d’être plus imagé que ça.

Aucun défaut à l’horizon, donc ? Allez si, un seul : on pourra considérer que John Williams, génie absolu de la composition musicale, ne réussit pas à reproduire le même impact qu’avant, faute d’une bande-son assez hétéroclite qui place souvent ici un thème différent dans chaque scène, donnant ainsi un – très léger – sentiment d’éparpillement. Rien de bien gênant, cela dit, puisque les faits sont là : la Force s’est bel et bien réveillée, plus épanouie et complexe qu’elle ne l’avait jamais été. Désormais vecteur bienveillant de son bon côté face à un Lucas devenu avec le temps son propre Dark Vador, J.J. Abrams semble crier haut et fort « George, je suis ton fils ! ». Bilan : tout comme Luke il y a presque trente ans, le fils a tué le père. Et il l’a dépassé.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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