SONGE
Le pigeon reviendra-t-il ?
Sami a 12 ans et vit en Cisjordanie, tout à côté du mur de séparation avec Israël. Pour retrouver son pigeon voyageur, il se rend d’abord à Bethléem chez son oncle qui lui avait offert le volatile. Puis ils se rendent ensemble en Israël, d’où est originaire le pigeon…

En Palestine tout le monde a perdu quelqu’un de proche, un père, un frère, une fille. Aucune famille n’est épargnée par le deuil ou par l’attente d’un retour d’exil incertain. Sami n’a pas vu son père depuis sept ans, date à laquelle il a été incarcéré pour une soi-disant agression de colons israéliens voulant s’approprier ses terres. Alors pourquoi faire tant de cas d’un simple pigeon voyageur, un volatile qui ne suscite en général que peu d’empathie chez les humains ? C’est sans doute que l’espoir de le retrouver ne parait pas si irréaliste, tandis que les chances de revoir son père sont si minces.
Mais sans être irréaliste la quête de Sami s’annonce tout de même comme un parcours du combattant. Il doit d’abord rejoindre son oncle à Bethléem par ses propres moyens. Or il n’est guère aisé de voyager en Cisjordanie, à plus forte raison quand on a douze ans. Hélas le pigeon n’est pas retourné chez l’oncle qui l’avait acheté pour son neveu. Ils doivent donc se rendre à Jérusalem ouest afin de questionner le vendeur, et par conséquent traverser la frontière la plus sensible au monde. Le pigeon n’étant pas plus retourné chez le vendeur que chez l’oncle, ils poursuivent jusqu’à Haïfa, ville côtière où le pigeon est né, qui s’avère également être le lieu d’origine de la famille de Sami. Son grand père y a travaillé sur les docks avant d’être expulsé par Israël.
Bien évidemment, le pigeon fugitif renvoi à l’image du père de Sami qui a comme disparu pour lui. C’est plus largement l’image de toute une famille déracinée par les tourments de la guerre. On peut également y voir une allégorie d’une paix qui se dérobe systématiquement quand on croit l’atteidre. Après tout la colombe, oiseau symbolisant la paix, n’est qu’un pigeon blanc. Et de cette histoire qui semble inconséquente, Rashid Masharawi tire un subtil conte philosophique sur l’absence et le deuil qui en découle. Sans oublier une critique politique de la condition du peuple palestinien, qui semble inévitable dès qu’on aborde le sujet. Mais qu’on ne s’y trompe pas, "Songe" est davantage un film sensible qu’un film coup de poing. À l’inverse de ce que nous offre généralement le cinéma palestinien, un cinéma bien vivace en dépit du contexte difficile. Et on espère bien qu’il ne perdra rien de cette vivacité.
Benjamin BidoletEnvoyer un message au rédacteur