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SNOWPIERCER

Un film de Bong Joon-ho

De la poudreuse aux yeux…

En 2031, un train circule sur notre Terre dévastée par une nouvelle ère glaciaire provoquée par les hommes en tentant de contrer le réchauffement climatique. Toute vie dehors est alors impossible, le froid tuant quiconque étant à l’air libre. Seuls quelques survivants résident dans ce train qui file à toute vitesse et sont distinctement séparés en deux groupes : les privilégiés sont à l’avant et vivent dans l’oisiveté et le confort, les moins que rien sont regroupés dans deux wagons en queue de file et vivent dans des conditions presque inhumaines…

Bong Joon-ho ("The Host", "Mother"), l’un des réalisateurs coréens les plus en vue du moment aux côtés de Kim Jee-woon ("J’ai rencontré le diable") ou Park Chan-wook ("Old Boy"), s’est donc lancé dans l’adaptation d’une bande dessinée française, Le Transperceneige, écrite et mise en images par Jean-Marc Rochette et Jacques Lob, pour en faire un film à la fois futuriste (la Terre est un gros cube de glace sur laquelle tourne en boucle un train avec à son bord les derniers survivants de notre espèce) et allégorique (le train et ses wagons représente notre monde réel avec ses couches sociales).

Sur le papier donc les thèmes sont beaux. Avec d’un côté cette puissante parabole de notre humanité réduite en deux extrémités : les pauvres, les estropiés en bout de rame utilisés, asservis par les riches et les gens de la haute situés en première classe (ce qui vous rappellera certainement un film sorti également cette année : "Upside Down"). De l’autre, un fort message écologique sur le réchauffement de la Terre qui mène directement à notre perte ; lesquels sont annonciateurs de grands mouvements de révolte, avec ici le soulèvement des parias…

Les décors extérieurs et intérieurs sont plutôt très bien réalisés, la photo est belle, avec ses paysages et ses sculptures de glace, et la découverte des magnifiques wagons de la société huppée (ayant chacun leur rôle : la cuisine, la salle de classe, le jardin, l’aquarium, le salon de coiffure, la discothèque, le sauna, etc.), jusqu’au tréfonds des espaces sombres, puants et répugnants de la seconde classe.

Ces inégalités flagrantes conduisent la résistance à s’organiser. On sent alors la révolution poindre pour faire voler en éclat tout ce système injuste mais qui est finalement présenté comme une nécessité, apportant un équilibre à la vie de ces survivants et amenant l’idée que toute civilisation ne peut vivre sur un même pied d’égalité si on veut que le monde tourne. L’espoir de cette révolte est incarné par un Coréen, petit génie de la sécurité qui sait ouvrir chacune des portes des wagons afin de mener les sans-culottes jusqu’au « Messie » (le conducteur du train) et qui accepte la mission contre un versement d’une drogue locale, le kronol, avec laquelle une bonne partie des riches se shoote pour échapper, en un sens, à la réalité de leur condition de vie.

Le film aurait pu s’arrêter ici et il aurait été parfait. Sauf qu’avec la révolution qui suit, "Le Transperceneige" se plante. Premièrement à cause des scènes ininterrompues de massacres. D’abord à la machette (en plein jour, puis dans le noir sous un tunnel, et re-en plein jour), suivi de massacres dans une salle de classe, après un long monologue de l’instit qui nous explique lourdement les origines du train, suivi d’un autre massacre dans l’ambiance moite du sauna où les morts de personnages attachants ne nous émeuvent plus. Deuxièmement, parce que ces combats n’ont rien de la superbe d’un "Kill Bill" qu’ils évoquent fortement. Ici les chorégraphies sont inexistantes, on imagine le réalisateur annoncer « Action » et laisser tout ce beau monde faire ce qu’il peut sans cohérence aucune, laissant même son cadreur à la dérive, se mettant bien dans l’embarras au moment du montage pour rendre quelque chose de beau, ce qu’il n’arrive bien sûr pas à faire.

Troisièmement, on se retrouve avec un film sans aucune tension dramatique, sans aucune émotion, alors que le début proposait une mise en place des personnages intéressante, l’anti-héros, le sage, le jeune fou, la mère vengeresse, la médium… Que deviennent-ils ? Rien, aucun développement. Tout cela se perd dans le dédale des wagons où ils n’ont alors plus rien à faire et plus rien à dire… Les dialogues se réduisent en effet au minimum, sauf à la fin avec au contraire une profusion de monologues, celui, creux, sur l’histoire de la mère d’Edgar et celui du « Messie » qui nous explique les rouages de sa machine et de son plan pour faire vivre tout ce petit monde avec la révélation tant attendue de la trahison qui tombe à plat et finit de nous achever…

Enfin, on est hébété par les invraisemblances flagrantes de l’histoire. Il ne faut pas réfléchir trop longtemps pour trouver plutôt ridicule cette histoire de train qui tourne en rond depuis 17 ans sur des ponts et dans des tunnels exposés à des températures extrêmes et qui ne bénéficient plus d’aucun entretien ! Ne parlons pas trop non plus de l’anthropophagie évoquée, on imagine mal les scènes décrites dans le film… On se consolera donc du casting éclectique, judicieux et international (où il manque un français tout de même, car à quoi sert de faire traduire les discours en français s’il n’y en a pas ?!). La palme revient bien sûr à l’excellente Tilda Swinton, actrice incroyable, méconnaissable dans son rôle de messagère, et qui emporte tout sur son passage. C’est elle le train à grande vitesse du film.

Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur

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