SING SING
Les coulisses exaltées de la réhabilitation
Incarcéré à la prison de Sing Sing, Divine G est un des membres fondateurs de l’atelier de théâtre réservé aux individus incarcérés. Depuis plusieurs années, il brille ainsi sur les planches. Mais pour le nouveau spectacle, un des détenus les plus redoutés de l’établissement pénitencier décide de s’inscrire aux auditions…

Malgré son titre trompeur, "Sing Sing" n’est pas une comédie musicale. Non "Sing Sing" est le nom d’une prison à sécurité maximale de l’État de New York, établissement dans lequel le programme RTA est prodigué. Kézako ? Le Rehabilitation Through the Arts a pour but d’aider les personnes incarcérées à se réintégrer et à développer de nouvelles compétences à travers les arts. Inspiré d’une histoire vraie et s’appuyant sur un casting grandement composé d’anciens détenus, le film nous plonge au cœur de cette initiative qui a, depuis son inauguration en 1996, démontré son efficacité, avec un taux de récidive proche de 0 % pour ses anciens pensionnaires.
Caméra à l’épaule, au plus près des êtres, le métrage nous invite à découvrir les répétitions pour le prochain spectacle. Si d’habitude, on suit les conseils de John Whitfield, surnommé Divine G, leader de la troupe et membre fondateur de l’atelier, cette année, les autres ont envie de changement. Marre des drames, leur quotidien est suffisamment tragique, ils veulent une comédie, une vraie, où l’on croise aussi bien des Princes d’Égypte que des gladiateurs et Hamlet sur le chemin. Forcément, John est un peu perturbé et perplexe face au scénario envisagé, et ce n’est pas l’arrivée dans la troupe d’un caïd des cellules qui va arranger la situation…
Là où ce drame carcéral aurait pu facilement tourner à la rivalité entre le protagoniste principal et ce nouveau venu, le scénario va prendre une toute autre direction, celle des sentiments humains. Vibrant hommage à la puissance du théâtre, le film est une fable pleine d’humanité, où la noirceur des conditions d’incarcération s’estompe dès que l’objectif pénètre cette salle de répétition. Ici, un seul pouvoir impose ses règles, celui de l’imagination. Il suffit de fermer les yeux pour être ailleurs, être dehors, être libre. Au cœur du chaos de la création artistique, la violence quotidienne ne pénètre pas, on se serre les coudes pour mener à bien ce projet, on s’abandonne aux autres, on se livre comme on ne l’a jamais fait, comme notre milieu social nous l’interdisait ; on s’appelle même « beloved » entre comédiens, et le mot « fraternité » prend tout son sens.
Avec une approche documentaire et une authenticité qui transpire à chaque recoin de la pellicule, le métrage n’oublie pas d’évoquer la réalité de ces existences au ban de la société, des fouilles humiliantes à la férocité nécessaire à certains pour survivre. Jeu de miroirs entre ces deux environnements au sein de la même geôle, "Sing Sing" bouleverse tant il ose nous montrer ces individus meurtris devenir enfin eux-mêmes sur les planches, abandonnant progressivement le masque qui leur a fait oublier qui ils étaient. Les voir discuter de nostalgie, des regrets de l’existence, des mauvais choix aux conséquences terribles, a quelque chose de profondément poignant, tant il dénote avec l’image habituelle réservée aux prisons.
Au-delà de ce scénario criant de vérité, la qualité de l’ensemble tient beaucoup à la prestation des comédiens, pour beaucoup non professionnels, et au jeu tout en contrastes de Colman Domingo. Habitué aux seconds rôles et mis en lumière par la série "Euphoria", et notamment un épisode spécial de tête-à-tête avec Zendaya, l’acteur tient enfin un premier rôle qui lui permet de démontrer l’immensité de son talent. Ses nombreuses nominations aux plus prestigieuses cérémonies en témoignent. Si la musique omniprésente et trop appuyée apporte la seule fausse note, ce huis-clos marque l’une des premières claques de ce début d’année. Loin des clichés et des préjugés, Greg Kwedar nous offre une œuvre émouvante et saisissante, exploration de la psyché humaine bien plus que des entrailles pénitentiaires, où les murs de béton enferment moins que les esprits. Cette fois, pas de crainte à avoir à passer par la case prison !
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur