SEBASTIAN
Le portrait subtil mais trop sage d’un écrivain chez les escorts
Max Williamson est un jeune écrivain de 24 ans qui vit à Londres. Pour son nouveau roman, il décide d’infiltrer le milieu qu’il veut dépeindre : celui des escorts gays. Pour pénétrer le monde des travailleurs du sexe, il se crée un profil sur un site de rencontres, sous le pseudonyme de Sebastian…

Pour son deuxième long-métrage, après le mignon "Entre les roseaux", l’Anglo-finlandais Mikko Makela reste dans l’univers LGBT et installe sa caméra dans le milieu des jeunes escorts gays chargés de donner du plaisir, généralement à des hommes beaucoup plus âgés. L’histoire de "Sebastian" est d’abord celle du jeune Max qui, du jour au lendemain, va se retrouver à monnayer son corps, caché sous le nom de celui qui donne le titre au film. Mais contrairement aux idées reçues couramment associées à la prostitution, Max n’est pas dos au mur financièrement, et s’il se lance dans ce milieu c’est pour une toute autre raison : celle d’expérimenter la vie comme travailleur du sexe pour écrire son premier grand roman, tant attendu par son éditeur. Le film suit alors le double parcours de Max et de Sebastian, les deux personnages principaux du long-métrage, tant le premier sépare consciemment sa vie du second.
Et c’est là que le film est le plus intéressant, à la fois dans son écriture et sa réalisation. Le montage séduit en effet avec ce choix de créer un décalage temporel en montrant les scènes de sexe a posteriori, une fois terminées lors de l’écriture du livre sous forme de souvenirs que Max couche sur le papier ou plus précisément dans le disque dur de son ordinateur. Cette séparation temporelle crée une fracture entre réel et fiction, mais aussi entre ce que Max vit au présent et ce qu’il vit sous les traits de Sebastian et qui devient la matière de son œuvre qu’il affirme être fictionnelle. La manière de montrer les deux personnages dénote d’une volonté de séparer les deux identités : Mikko Makela filme au plus près Sebastian, en plans serrés, quand il s’adonne au plaisir du sexe et de la séduction avec ses clients, tandis qu’il recule sa caméra pour filmer Max dans son quotidien, seul chez lui ou avec ses amis et ses collègues.
Deux vies, deux identités, une même personne, on n’est pas loin du dédoublement de personnalité ! Max sera de plus en plus gagné par le trouble de cette vie secrète, entre l’évolution de son rapport avec son propre corps, le plaisir coupable que lui procureront ces rendez-vous tarifés et le questionnement en découlant sur son identité d’auteur et de personnage principal de son livre qu’il se refuse de conjuguer à la première personne du singulier. Malheureusement, la caractérisation de ce personnage – parfaitement interprété par Ruaridh Mollica, potentiel Harris Dickinson en puissance – et l’histoire sont bien trop sages et fades pour vraiment captiver le spectateur. Les lieux communs des clients et des chambres d’hôtels ronronnent dans l’esprit des cinéphiles qui auront le sentiment d’avoir déjà vu ça mille fois. Si les scènes de sexe sont parfaitement bien filmées et rehaussent la température du film, la dramaturgie semble délaissée. Et ce ne seront pas les quelques tensions avec ses amis ou la patronne du journal, ni celles avec un client qui le jette à la rue qui vont nous faire nous apitoyer sur son sort. Ce qui aurait pu virer au thriller schizophrène n’est rien de plus qu’un article pour Psychologies magazine.
Autre sujet éludé, celui de la prostitution en ligne… Celle-ci n’est malheureusement jamais traitée, ni même questionnée alors qu’elle est un passionnant sujet de société, avec l’avènement du digital et de la marchandisation des corps sur des sites internet gratuits… On peut reconnaître au réalisateur la volonté de montrer une histoire LGBT positive, a fortiori sans drame ni fin tragique pour son héros – un trope encore trop souvent banal dans les œuvres queers – mais ne rien faire de la cyberprostitution sur un film qui baigne en plein dedans dérange un minimum. Et finalement, on peut presque se demander si une œuvre comme "Sebastian" ne contribue pas à banaliser la prostitution sur les réseaux sociaux ? On préférera, pour ces raisons, le récent "Baby" ou le plus ancien "Sauvage", inspiré du vécu de son réal et qui dépeignait le milieu très dur de la prostitution masculine.
Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur