SARAH BERNHARDT, LA DIVINE
La cabotine
1915. Atteinte d’une tuberculose osseuse au niveau du genou, la grande actrice Sarah Bernhardt se voit contrainte d’être amputée de la jambe droite. Au terme d’une opération délicate mais réussie, elle assiste aux visites successives de ses proches, notamment le jeune cinéaste Sacha Guitry qui cherche à percer le secret de la liaison entre Sarah et son père Lucien. C’est le début d’une longue confession sur ce qui, vingt ans plus tôt, aura fait basculer le destin de « la Divine »…
On ne dira pas qu’un personnage à l’aura si puissante avait été jusqu’ici boudé par le 7ème Art. D’abord parce que le réalisateur américain Richard Fleischer lui avait déjà consacré un film (peu mémorable) en 1976, ensuite parce que la silhouette de Sarah Bernhardt trouva régulièrement racine par la suite sur l’arrière-plan d’un grand nombre de films et de séries. Un autre film restait-il à faire sur cette icône culturelle sans égal ? Y avait-il un angle inédit propice à créer un écho avec notre époque ? C’était assez facile de répondre oui, car tout tient ici sur les revendications anticonformistes de Bernhardt, vantant sa sexualité libérée, son excentricité assumée, son combat contre l’antisémitisme (elle épaula Emile Zola dans sa défense vigoureuse d’Alfred Dreyfus) et son refus absolu de la peine de mort. Autant dire de forts points thématiques, forcément susceptibles d’interpeller sur l’état d’une France aujourd’hui de plus en plus marquée par le rebond d’idées conservatrices et nauséabondes. Cela étant dit, dans la mesure où le biopic s’est trop longtemps caractérisé par sa pauvreté et son absence de point de vue, on s’attendait à ce que Guillaume Nicloux, cador hexagonal du non-étiquetage perpétuel et véritable tête chercheuse des chemins de traverse narratifs, puisse en véroler intelligemment les codes de l’intérieur. Or, venant d’un cinéaste aussi singulier et inclassable que lui, le résultat a tout d’une surprise. Précisément parce qu’il ne surprend pas.
Quand bien même voudrait-on faire passer une narration déconstruite pour une preuve d’audace, ce n’est là qu’un lieu commun propre au biopic, de même que vanter la beauté du cadre et de la photographie (ici signée Yves Cape) et la qualité du travail effectué sur la reconstitution d’époque (décors, costumes, maquillages…) est un argument qui ne pèse désormais plus lourd. Plus que jamais, c’est au travers des partis pris de mise en scène, de subversion esthétique et de structure scénaristique qu’il est possible de déceler l’angle, le point de vue, bref l’audace capable d’emporter le morceau. Disons-le tout de suite, c’est le générique d’ouverture qui s’octroie exclusivement ce rôle en capturant l’agonie de Bernhardt dans son lit, via une théâtralité du jeu et de la scénographie qui s’amplifie jusqu’à ce que les applaudissements d’un public se fassent entendre hors champ. Instant brillant, troublant, brouillant les deux faces de Bernhardt (sa personnalité excentrique et son jeu habité jusqu’à l’excès) et l’identité de son propre entourage dans un même geste de cinéma. Le reste, hélas, nous fait redescendre de quarante étages en se bornant à dérouler le récit lambda d’une courte période de la vie de Bernhardt, à base de conflits sentimentaux répétitifs et d’une cascade de personnalités célèbres (Guitry, Rostand, Freud, Zola…) à savourer comme un défilé de vignettes Panini.
Nicloux fait ici le bon choix de traiter Bernhardt comme un centre de gravité autour duquel ne cessent de tourbillonner des électrons tantôt passifs tantôt décoratifs (seul Laurent Lafitte parvient ici à se démarquer dans un rôle à la fois fragile et émouvant), mais il peut difficilement esquiver le piège que lui tendait un tel sujet d’étude. Creuser la femme Sarah sous la légende Bernhardt, c’est fatalement se confronter de plein fouet au triple vernis de sa fragilité, à savoir une personnalité ultra-narcissique, un caractère profondément cyclothymique, et plus généralement une tendance à l’emphase que l’on est en droit de trouver lassante. Au fond pas si éloigné de celui de Gloria Swanson dans "Boulevard du Crépuscule", le jeu de Sandrine Kiberlain est comme un exercice de funambule tentant non-stop des pirouettes bruyantes sur un fil qui gigote beaucoup trop en menaçant de se rompre. L’actrice de "9 mois ferme", que l’on sait apte à se hisser au niveau des plus grandes, s’est certes abandonnée à ce rôle kamikaze, en en reproduisant avec fidélité les émotions tempétueuses et l’art de la déclamation plus grande que nature. Pour autant, on estimera qu’elle a échoué à toucher du doigt la « justesse dans l’excès », ne serait-ce qu’en raison de scènes a priori dénuées de tension qui virent fissa à l’exhibition cacophonique, avec trop de voix forcée et peu d’âme renforcée – et cela a tôt fait de casser l’ambiance. Comme dommage collatéral d’une performance d’actrice à ce point sinusoïdale, c’est fatalement le cabotinage qui vire à l’aigu. D’aucuns diront que le respect du personnage justifiait cela. On rétorquera que cela ramène surtout le biopic à sa fonction la plus faible : retranscrire sans chercher à transcender.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur