SAINT-EX
Une étonnante épopée, à la beauté formelle sidérante
Antoine de Saint-Exupéry et Henri Guillaumet sont deux aviateurs chevronnés, travaillant pour l’aéropostale entre l’Argentine et le Chili. En 1930, chaque mission est périlleuse et la concurrence du train pour la livraison du courrier, comme l’impossibilité de voler de nuit, rendent l’avenir de leur compagnie incertaine. C’est alors que Guillaumet se met en tête de faire le trajet vers Santiago en passant par dessus la Cordillère des Andes. Et comme le craignait sa femme Noëlle, celui-ci ne donnera plus signe de vie…
Le parti pris du film signé Pablo Agüero pourra en dérouter certains, mais c’est au final un voyage assez envoûtant que nous propose le réalisateur, entre imagination fertile de celui qu'on connaît avant tout pour son conte "Le Petit Prince", sublimation picturale des paysages de montagne et du côté aventureux des pilotes de l’aéropostale, et influences qui conduiront à son œuvre majeure, et les dessins qui l'accompagnent. Démarrant avec une sorte d’humour potache, les premières scènes ne constituent pas les moments les plus réussis du film, le scénario tentant un humour décalé et un rien enfantins, pour accompagner une scène d’amerrissage forcé, pointant d’emblée le courage des deux hommes, mais aussi leur complicité. Avec cela le spectateur devra en tous cas intégrer d’emblée le caractère non réaliste du film. Mais l’onirisme ne viendra que plus tardivement, pour les plus patients, une fois Guillaumet disparu dans les hauteurs et Saint-Ex parti, en ami fidèle, à sa recherche.
Petit à petit, les dialogues s’effacent, semblant vouloir rendre l’aventure plus grande que la vie dans la première partie, au profit de moments contemplatifs, où l’on passe au dessus des nuages, où l’on navigue dans un mélange de tons de gris, où la musique s’affirme face au silence d’un moteur jusque là omniprésent... Le travail sur l’image rend les lieux magiques et irréels, l’esthétique des visages ou des rares décors rappelant le classique avec Cary Grant "Seuls les Anges ont des ailes" (1939). Pablo Agüero nous emmène avec Louis Garrel au cœur d’un nuage électromagnétique, sur un lac gelé, aux marges d’une tempête de sable ou en pleine tempête de neige, proposant au passage des rencontres (un étrange cabaret, un berger à la brebis éteinte, un jeune homme dans une vieille hacienda peuplée d’animaux...) évoquant les influences des quelques dessins livrés par l’aviateur. Progressivement, il convoque l’émotion en travaillant sur un espoir fou, celui de retrouver Guillaumet vivant, lui inventant des alliés en pleine montagne. Même le manoir de l’enfance de Saint-Ex devient sujet de rêverie, dépassant à peine des brumes, et évoquant lui aussi la mort, comme une rôdeuse autour de cet homme à part. On ressort du film des images indélébiles plein les yeux, quelque chose d'amer en bouche, mais avec l’impression de pouvoir nous aussi imaginer l’impossible.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur