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RUN

Un film de Philippe Lacôte

Trois vies et une seule mort

Un homme vêtu comme un mendiant fend la foule et s’approche d’une tribune. Il sort son arme et tire plusieurs coups de feu. Il vient d’assassiner le Premier ministre de Côte-d’Ivoire. Devenant l’homme n°1 à abattre, il prend la fuite et se souvient que ce n’est pas la première fois qu’il court ainsi… C’est d’ailleurs pour cela qu’il s’appelle Run…

Sélectionné à Un Certain regard à Cannes 2014, "Run" est le premier long-métrage de Philippe Lacôte. Son film raconte son pays : la Côte-d’Ivoire, sur une vingtaine d’années. Un état d’Afrique de l’Ouest qui a connu de graves crises politiques débouchant sur de grandes violences et dont notre guide sera le jeune Run, appelé ainsi car toujours en fuite pour échapper à ses vies antérieures. Il aura ainsi trois vies, celle d’un gamin qui apprend aux côtés d’un faiseur de pluie, maître Tourou, celle d’un ado qui va suivre la tournée gastronomique de Gladys, une gloutonne au grand cœur, et celle d’un adulte qui n’a pu échapper à la violence en rejoignant les Jeunes patriotes de Yopougon.

C’est donc à un voyage initiatique que nous convie Philippe Lacôte. Celui d’un gosse qui rêvait de magie et de sorcellerie mais qui ne récoltera que ce que son pays offre à la plupart des jeunes de sa génération : une certaine violence ou la criminalité. D’une vie à l’autre, Run aura beau se sauver, il aura beau côtoyer des personnalités hors normes, qui le marqueront toutes à leur manière, il finira immanquablement dans l’engrenage de la violence qu’il tentera de fuir continuellement. Ou comment montrer qu’on ne peut parfois pas échapper à son destin.

Mais Philippe Lacôte ancre son film dans une histoire qui joue sur deux très beaux tableaux : une réalité socio-historique d’un côté et des envolées mystiques de l’autre, rappelant qu’en Afrique le sacré côtoie le monde profane. On découvre ainsi, pêle-mêle, les très beaux plans de la chute des étoiles, de l’invasion des criquets, les étranges cérémonies qui semblent désinfecter les corps ou les protéger, ce drôle de phénomène de foire qu’est Gladys, etc. Des moments qui permettent souvent au réalisateur de montrer son talent de metteur en scène, aidé par la belle lumière de Daniel Miller, chef opérateur israélien.

Devant la caméra, on reconnaîtra Isaach de Bankolé, très connu pour ses rôles dans des productions françaises ("White Material", "Le Scaphandre et le Papillon"…) et américaines ("Ghost Dog", "Casino Royale"…). Son magnétisme fait ici encore des ravages. Le jeu d’Abdoul Karim Konaté, qui interprète Run, gêne un peu au début mais finit par trouver son identité pour finalement séduire. Le destin atypique de ce petit "Forrest Gump" de Côte-d’Ivoire aura de quoi plaire à ceux qui aiment le cinéma africain qui ne renie ni son Histoire ni ses origines tout en s’ouvrant à une culture cinématographique occidentale.

Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur

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