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REINE MÈRE

Un film de Manele Labidi

Le refus du déclassement

Mouna, adolescente, et sa petite sœur Heza, vivent dans un foyer aimant, entre leur mère, Amel, femme au foyer, et leur père, Amor, électricien qui croule sous les commandes. Lorsque la mère comprend que l’un des courriers mis de côté depuis des semaines contenait la résiliation de leur bail locatif, elle espère qu’ils auront enfin droit à un appartement HLM, eux qui sont sur liste d’attente depuis 7 ans. Mais lorsque la proposition arrive enfin, d’un relogement en cité dans une banlieue, celle-ci fait un scandale, refusant de quitter les beaux quartiers…

Le duo Camélia Jordana / Sofiane Zermani permet de donner à "Reine Mère" un côté explosif, mettant face à face deux caractères forts, le mari continuant à rêver de jours meilleurs grâce à son implication au travail, la femme refusant de voir ses conditions de vie se détériorer par rapport à un standing auquel elle estime avoir droit, bien qu’elle soit loin de ce que le statut de sa famille lui promettait et que leur déménagement forcé des beaux quartiers se profile. C’est finalement le refus d’une sorte de déclassement et la persévérance de cette mère visant à être respectée et à rester elle-même, même si elle doit trouver un travail, qui va être au cœur du métrage et se heurter à une dure réalité : comment rester fière tout en ne paraissant pas méprisante, alors que seuls des métiers de bases s’offrent à elle, et qu’elle aspire à bien plus. Le passage dans une école, où elle devient femme de ménage, mais persiste à porter des robes comme à prendre le temps pour écouter discrètement certains cours, montre bien l’état d’esprit et les ambitions du personnage.

Doublant le portrait de la mère, de l’histoire de sa fille Mouna, à la légère tonalité fantastique, Manele Labidi a choisi d’impliquer là le fantôme du roi Charles Martel, qui a écrasé les arabes à Poitiers en 732, que celle-ci voit apparaître régulièrement. Symbole de sa peur de l’exclusion, tous les passages liés au surgissement de Damien Bonnard en tenue royale ou armure ne sont pas des plus légers, mais permettent d’aboutir sur une intelligente conclusion autour de la réinterprétation de l’Histoire par les colonisateurs (notamment en peinture…), arabes et berbères étant différents et la conquête de l’Algérie étant passée par là. Le personnage de la fille (Rim Monfort) s’avère progressivement attachant, alors que la complicité qui pointe son nez après chaque crise entre ses parents permet quelques pieds de nez aux racistes et à ceux qui regardent de haut certaines classes sociales (voir la jolie scène de danse dans un appart dont on leur refuse la visite, faute de revenu suffisant…). Affirmant clairement que les classes populaires comme les immigrés et leurs descendants ont aussi droit à des conditions de vie décente et à rêver d’une meilleure existence, "Reine Mère" doit en tous cas beaucoup au mélange de gravité et d’aspect sanguin d'une Camilla Jordana lumineuse; qui apporte à ce récit sur l'identité, ce qu'il faut de dynamisme.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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