PROMIS LE CIEL
Une « persévérance » bien mise à mal dans un film lumineux, porté par trois actrices épatantes
Synopsis du film
Ancienne journaliste originaire de Côte d’Ivoire, Aminata a pris le nom de Marie et officie comme pasteur lors de cérémonies données dans sa propre maison, en plein Tunis. Là, elle héberge Naney, aux cheveux crépus blonds, qui a laissé sa fille au pays et qui voudrait bien traverser pour l’Europe, quand elle en aura les moyens, ainsi que Jolie, étudiante en école d’ingénieur et seule des trois à avoir un visa en règle. Toutes trois recueillent la petite Kenza, 4 ans, rescapée du naufrage d’un bateau de migrants…

Critique du film PROMIS LE CIEL
C’est un trio d’actrices remarquables qui tient à bout de bras le nouveau film de la réalisatrice tunisienne Erige Sehiri ("Sous les figues", "La Voie normale"), dont l’action se situe dans la communauté subsaharienne installée en Tunisie. Rapidement la situation de chacun des trois personnage est posée, le temps pour le scénario, assez implacable, de ce film présenté en ouverture d’Un Certain Regard, de mieux remettre chacune face à la réalité de sa situation et donc des certitudes que traduit son comportement. Il y a Marie (nouveau nom de Aminata), à laquelle Aïssa Maiga donne une allure légèrement hautaine, cachant bien quelques fêlures derrière son aplomb de prêcheuse à l’église de la persévérance. Il y a Naney, interprétée par l’époustouflante Deborah Christelle Naney, qui aime faire la fête et multiplie les idées de combines, aidée d’un ami tunisien, entre trafic d’alcool, de sucre et autres petits larcins. Et il y a Jolie, au prénom prédestiné, pétrie de la certitude d’être dans son droit, jouée par l’impeccable Laetitia Ky.
En toile de fond, l’intelligent scénario pose les jalons d’un galopant sentiment d’insécurité, forgé dans les rumeurs sur les arrestations des subsahariens, les conseils donnés de « se faire discret », le refus de taxis de prendre Naney et Jolie alors qu’elles sortent de boite et sont loin de porter le voile, une agression d’hommes noirs qui ramassent du plastique à recycler… Progressivement, Erige Sehiri fait monter la tension autour de ces trois femmes résolument vivantes, enveloppées dans la douceur des coloris bleus et blancs (la photographie et le choix des couleurs sont absolument envoûtants) et s’occupant malgré leurs problèmes, de la petite Kenza, regard innocent de l’histoire.
Évoquant le racisme ambiant, allant parfois de paire avec le sentiment de certains maghrébins de ne pas être « africains », "Promis le ciel", s’il est ponctuellement un poil trop explicite, se pare d’une percutante symbolique quant à la situation de ces personnes coincées dans une sorte d’entre-deux, entre ce qu’elles voudraient et ce à quoi elles ne peuvent accéder, et parfois abîmées par la vie. L’un des plans du début, où la jeune Kenza joue avec la balustrade de l’escalier, passant les mains dans les motifs en fer forgé, évoque discrètement les chaînes d’une éternelle esclave ou prisonnière. Un reflet même de la situation de ces trois femmes, qui fait qu’au final le film se pare d’une belle émotion, dressant le portrait inédit d’une communauté persécutée, phénomène malheureusement généralisé en ces temps.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur