POOJA, SIR

Un film de Deepak Rauniyar

Un thriller népalais nerveux qui outrepasse les codes classiques du genre

Synopsis du film

2015. Des manifestations secouent le Népal dans la région sud du pays où l’ethnie Madhesi est opprimée et laissée pour compte par le Gouvernement. Quand deux enfants sont enlevés, attisant encore plus les tensions, la commissaire de police Pooja quitte Katmandou pour enquêter sur l’affaire et retrouver les deux adolescents…

Critique du film POOJA, SIR

"Pooja, Sir" est le troisième long-métrage de Deepak Rauniyar. Après "Highway" et "White Sun", ce cinéaste népalais continue d’explorer son pays. Ici, il raconte un bout d’histoire, au moment où les Madhesis se révoltent en 2015. Lui-même issu de cette ethnie, il sait l’oppression subie, la discrimination vécue par ces femmes et hommes à la couleur de peau plus foncée que les autres Népalais. Ces émeutes donnent donc un contexte au film qu’il a co-écrit avec David Barker ainsi qu’Asha Magarati sa compagne (d’une autre ethnie) et actrice principale du film. Un contexte social et éminemment politique qui touche à l’identité d’un peuple, à son intégration dans son propre pays et parle plus largement des discriminations vécues par toutes les minorités. Un contexte qui sert de toile de fond à un thriller nerveux doublé d’un polar à tiroirs et d’une réflexion sur les luttes personnelles et sociales.

Car le Népal n’est pas seulement la carte postale idyllique d’un pays enclavé dans la chaîne de l’Himalaya, c’est aussi un petit état multi-ethnique où l’on compte pas moins de soixante ethnies et castes différentes. Une diversité qui pourrait être signe de richesse mais qui crée de nombreuses divisons et tensions. Deepak Rauniyar joue intelligemment avec cette notion d’opposition dans tout son film. Dès le début, on est marqué par la fragilité de l’enfance en danger face à la dureté des tensions locales (des enfants jouant alors qu'une manifestation dégénère). On ressent aussi le fossé des statuts des familles des enfants disparus, l’un étant le fils d’un homme politique puissant, l’autre d’une minorité oppressée. C’est également Pooja elle-même qui représente une contradiction en choisissant délibérément de se faire appeler « Sir ». C’est encore le duo de policières que Pooja et sa collègue madhesi forment : deux ethnies différentes, deux discriminations différentes (liées à la couleur de peau et au genre)…

Deepak Rauniyar combat à travers son film toutes ces divisions, ce thriller cachant un cri du cœur : réunir un peuple et gommer les discriminations. Pooja incarne cette idée de rassemblement, d’unité et de tolérance, d’abord en mettant tout en œuvre pour retrouver les adolescents disparus, ensuite en représentant un personnage central fort et singulier : une femme au milieu d’une police composée à 95 % d’hommes et une queer, coupe de cheveux courte, vêtements masculins, qui renie dans son métier son genre d’appartenance pour de mauvaises raisons. Enfin, en s’associant à une autre policière femme et issue d’une minorité, elle est ainsi le symbole d’une lutte contre les discriminations, pour l’inclusion et l’égalité. Elle se bat pour la défense des identités propres. "Pooja, Sir", c’est une enquête et une épreuve pour retrouver en apparence deux enfants, c’est en filigrane un film fort de lutte LGBTQ et pour toutes les minorités opprimées.

On peut donc voir le long-métrage comme un polar nerveux, un contre-la-montre qui gère bien le rythme, bien interprété, doté d’une photographie élégante et d’une musique efficace signée Vivek Maddala (compositeur de la BO de "Kaboom"). On pourra regretter la complexité d’un scénario parfois dur à suivre et la faiblesse de caractérisation du personnage principal dans son identité queer. Mais "Pooja, Sir" outrepasse avec originalité les codes du thriller classique, interrogeant judicieusement sur les inégalités humaines, ouvrant la réflexion vers l’acceptation des autres mais aussi de notre propre être, de nos identités, assenant un message de paix, de justice et de vérité face aux sociétés gangrenées par la corruption, les couches sociales, les classes ethniques, hiérarchisant les individus et stigmatisant les minorités. Un polar qui prône l’égalité et la fraternité, c’est rare. Rien que pour cela "Pooja, Sir" mérite d’être vu.

Mathieu PayanEnvoyer un message au rédacteur

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