PIÉGÉ
Mesure sociale un poil extrême
Eddie Barish est un petit malin de la rue à qui rien ne réussit. Il n’arrive ni à payer les réparations sur sa voiture ni à aller chercher sa fille à l’école. Alors que les dettes s’accumulent, Eddie tente le tout pour le tout lorsqu’il voit un 4 x 4 hors de prix pas même verrouillé sur un parking lugubre de Los Angeles. À peine il commence son larcin qu’il se retrouve enfermé à l’intérieur et son calvaire ne fait que commencer, le propriétaire du véhicule ayant une certaine définition de la justice…

La bonne petite série B de pur divertissement que promettait "Piégé" ("Locked" en VO) avec son pitch malin et son duo d’acteurs chevronnés sont les raisons qui nous ont poussé à nous rendre en salle obscure pour le découvrir. Qui plus est, le réalisateur du film David Yarovesky est tout sauf un manche lorsqu’il s’agit d’humour bien noir comme a pu le prouvé son "Brightburn : L’enfant du Mal" en 2019. Ce dernier mettait en scène un Superman sale gosse prompt à découper du mouton et faire périr les innocents... et c’est tout ce qu’on souhaitait à "Piégé" : un concept simple (l’arroseur arrosé, un lieu unique), deux acteurs dont Sir Anthony Hopkins toujours à l’aise avec les rôles de psychopathes et de cabotinages (coucou "Transformers 5") et une jolie interdiction aux moins de 12 ans avec avertissement s’il vous plaît.
Malheureusement nous nous retrouvons face à un produit somme toute assez sage dans son exécution et assez ambigu sur son propos politique. Et c’est pourtant l’un des points de départs intéressants de ce film lorsqu’on débarque ni une ni deux directement dans les rues de Los Angeles avec un Eddie qui a tout l’air d’un camé (une blague bien sentie soulignera ce point). Ce qui frappe c’est ce montage frénétique avec l’illustration d’une ville qui s’engloutit sur elle-même avec ses coins mal famés, sa pauvreté et la pluie incessante. L’utilisation d’une musique électro pour souligner le chaos environnant est néanmoins de trop et montre la vraie intention de son réalisateur : le contexte et les thèmes d'égalité sociale et de justice ne sont que prétexte pour nous fournir une bête histoire de vengeance réactionnaire un poil ennuyante.
Parce que même si cet univers digne d’un film noir n’est que survolé, on peut distinguer très vite ce que ce film aurait pu être entre d’autres mains. À partir du moment où Eddie (Bill Skarsgård convaincant) se voit enfermé dans la voiture, le film adopte un rythme en dent de scie, pas aidé par une volonté de toujours vouloir s’extirper du huis clos imposé par son script. Alors que la première séquence où le protagoniste essaie de s’échapper est agrémentée de cadrages astucieux et de mouvements de caméra intéressants, très vite, dès que le monteur aura l’occasion de mettre un plan de coupe pour contextualiser ou nous faire inutilement respirer, il le fera. Ce qui aura pour effet de casser cette ambiance anxiogène sur laquelle le film repose initialement.
Même si il n'apparaît physiquement qu’à la fin, Anthony Hopkins apporte son lot de répliques bien senties et un sadisme cartoonesque assez plaisant, tout en donnant à son personnage de William une épaisseur que le scénario ne daigne même pas lui donner. Même avec rien, le grand Anthony Hopkins arrive à faire des merveilles. Hélas, les dispositifs de « tortures » installés par ce propriétaire belliqueux font l’effet d’un pétard mouillé [Attention Spoilers] quand on voit qu’il s’agit de coups de clim par ci et de fauteuil taser par là, on se dit qu’en effet les riches sont bien cons de dépenser autant à la sécurité si c’est pour se retrouver avec la panoplie machiavélique digne d’un Gargamel. Là où le bât blesse également c’est sur son message, alors qu’il partait sûrement avec les meilleures intentions du monde, le script nous donne à croire que sans cette bonne raclée, Eddie ne serait jamais arrivé à aller chercher sa fille à l’heure à l’école. Et pourtant c’est bien ce que le film nous impose comme conclusion. Alors qu’il y avait matière à nous mettre dans une position délicate et politiquement incorrecte, le film dresse une ligne morale douteuse qui provoque finalement l’indifférence ; entre ces deux hommes malades du ciboulot, en tant que spectateur on n’a envie de rouler pour personne. On prendra le prochain Uber.
Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur