PERSONNE N’Y COMPREND RIEN
Chacun va tout comprendre
Alors que s’ouvre le procès de l’affaire des financements libyens mettant en cause les liens de l’ancien président Nicolas Sarkozy avec le colonel Kadhafi, ce documentaire remonte le fil d’une investigation de plusieurs années et éclaire ce qui aura donné naissance à l’un des plus gros scandales de l’Histoire du la Vème République…
Derrière ce titre se cache en réalité une authentique déclaration de Nicolas Sarkozy au cours d’une interview donnée au Figaro Magazine le 16 août 2023 : « Les Français sont bien en peine de résumer ce qu’on me reproche. Personne n’y comprend rien ». Une phrase vouée à finir contredite dès ce début de janvier 2025, date à laquelle s’ouvre enfin le procès de l’affaire « Sarkozy-Kadhafi » devant le Tribunal judiciaire de Paris. Le choix d’une sortie de ce documentaire en simultané est tout sauf anodin, car lié à une triple action : troquer la polémique contre la pédagogie, cartographier les faits avec la plus grande précision, mais surtout accompagner l’opinion publique avec des faits clairs pour que l’effet médiatique engendré par un tel procès ne serve pas d’écran de fumée. Et si le but n’est pas ici de placer le spectateur dans une position de juge ou de juré, ni même d’établir soi-même la culpabilité judiciaire de qui que ce soit (comme le souligne le carton en intro), au moins, les faits sont les faits, et les dévoiler objectivement suffit en soi à allumer la mèche. Preuve supplémentaire que le cinéma et le journalisme peuvent continuer à faire bon ménage.
Plus de dix ans d’enquête auront donc été nécessaires chez Mediapart pour relever et synthétiser un torrent d’ambiguïtés, amorcé par la réception d’un mail mystérieux de Ziad Takieddine en juin 2011. À partir de là, rien n’est esquivé dans ce documentaire pour clarifier tout ce qui peut et doit l’être : la célèbre affaire Karachi sur fond de campagne balladurienne, les voyages répétés d’exécutifs français à Tripoli sur fond d’arrangements financiers, les divers têtes-à-têtes et échanges téléphoniques entre Sarkozy et Kadhafi (lesquels culmineront avec la visite ubuesque du dictateur libyen à Paris en décembre 2007), les détails souterrains de la guerre en Libye et du financement louche de la seconde campagne présidentielle de Sarkozy, l’immixtion des RG et des anciens ministres sarkozystes dans l’équation, les multiples volte-faces médiatiques de Takieddine, la remontée de flux financiers illégaux, les connexions on ne peut plus troublantes avec les cerbères du monde médiatique, la remontée progressive des liens cachés entre dictatures et démocraties, etc…
Ancien monteur passé à la réalisation, Yannick Kergoat renoue ici avec certains partis pris des "Nouveaux chiens de garde" (même sens du montage acéré, mêmes effets de style narratifs à haute dimension symbolique) tout en optant pour un refus frontal du décalage et du second degré. De par son choix d’un décor d’appartement vide où se succèdent interviews et projections d’archives, la modestie des effets et la prédominance des faits (ici édifiants et ordonnés selon une redoutable montée crescendo) s’imposent afin de meubler l’espace de vérité et de reconstruire la chronologie d’une enquête ayant servi à délimiter les fondations et l’architecture d’un scandale géopolitique ô combien tentaculaire. Si le résultat se montre aussi impartial et franc du collier qu’on pouvait l’espérer, Kergoat fait hélas preuve de complaisance dans son approche de la cellule Mediapart. En effet, comme dans le récent "Media Crash", on sent encore ici l’envie – peut-être inconsciente – d’ériger ses journalistes en vrais chevaliers blancs de l’indépendance journalistique face au reste de la profession, ce que la déclaration finale de Fabrice Arfi appuie encore un peu plus. Ce détail mis à part, le résultat consolide de bout en bout sa force d’action, peaufine jusqu’au bout sa quête de vérité, et s’impose in fine comme un solide document d’utilité publique.
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur