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PARIS STALINGRAD

Une honte pour le pays des Lumières

En 2016, des dizaines de réfugiés campent à proximité du métro Stalingrad, à Paris, en attendant que leur situation puisse être examinée et régularisée. Mais la police vient régulièrement les déloger et détruire leurs campements. Parmi eux, figure Souleymane, 18 ans, originaire du Darfour, qu’il a quitté cinq ans auparavant. Ses rêves se heurtent à la dure réalité des réfugiés en France…

Paris Stalingrad film movie

À Stalingrad dans les années 1940, survivre était un héroïsme en soi. Au métro Stalingrad à Paris dans les années 2010, on peut en dire de même pour les réfugiés. Certes, ces personnes ne sont pas au milieu des balles et des obus (c’est même ce que bon nombre d’entre elles ont fui), mais elles font face au dénuement le plus total, à l’instabilité permanente, au rejet général, à la persécution régulière des forces de l’ordre (comment appeler ça autrement en voyant ce documentaire ?), à l’absence d’horizon…

En filmant le quotidien de ces réfugiés au plus près, dans une forme de journalisme embarqué (« embedded » comme on dit parfois), Hind Meddeb (elle-même pleinement impliquée via ses questions ou interventions) et son coréalisateur Thim Naccache montrent les évènements de l’intérieur à la manière d’un reportage de guerre, captant ce mélange perpétuel d’errance et de chaos, suivant des êtres humains constamment en fuite – comme si quitter leur pays les avait seulement exposés à d’autres dangers et cruautés, quelle qu’en soit la teneur.

Même si le public a déjà vaguement conscience de la rude vie de ces réfugiés, "Paris Stalingrad" permet de mieux mesurer l’ampleur de cette dureté, comme peu d’œuvres ou documents parviennent à la faire. En côtoyant par procuration ces étrangers en quête d’espoir, on ne peut que constater (mais est-ce une surprise ?) que ce sont des gens sensibles et intelligents comme tout le monde, que nos sociétés traitent pourtant comme des animaux, des parasites ou des terroristes. Seules quelques personnes leur tendent réellement la main, le documentaire exposant même les manquements de certains organismes dont l’objectif est supposément de les aider ou de leur porter secours. On constate ainsi avec effarement, dans un pays qui se targue de principes issus des Lumières, au nom de l’égalité, de la liberté et de la fraternité, que les réfugiés sont traités de façon impitoyablement dégradante.

Pire : malgré les idéaux de justice affichés par notre démocratie, les réfugiés font face au règne de l’arbitraire. Tout semble fonctionner comme si les demandes de régularisations étaient accordées au doigt mouillé, l’âge des mineurs sans papiers évalué au faciès, les aides apportées de façon inégale et aléatoire… Au milieu de tout ça, la police fait figure de rouage au mieux inutile et absurde, au pire inhumain, comme un bras aveugle et sourd d’une politique tentant apparemment de ménager la chèvre et le chou (la droite et la gauche), avec un ridicule et illusoire mélange de fermeté et de supposés gestes humanitaires.

Film brut, ne cherchant pas d'effets superflus de mise en scène, "Paris Stalingrad" laisse tout de même la place à quelques lueurs, notamment avec le recours à la poésie qui devient quasiment la dernière liberté auxquels s’accrochent certains réfugiés, comme une échappatoire ultime face à tous les obstacles – que personne ne pourra leur voler. Héros malgré lui, fil rouge de ce film, le jeune Souleymane incarne ce mélange de résignation et de persistance du rêve, dans ses attitudes comme dans ses mots : « Je combats la douleur par la joie », explique-t-il par exemple. C’est un poète et un survivant. Et nos sociétés démocratiques ne font malheureusement qu’ajouter des épreuves à son odyssée au lieu de le guider vers la dignité et la sérénité.

Raphaël JullienEnvoyer un message au rédacteur

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