OXANA
Combat Shock
Le 23 juillet 2018, avant d’assister au vernissage parisien de ses peintures iconiques, l’artiste-peintre ukrainienne Oxana Chatchko déambule à travers la capitale, entre ses amants, une interview pour un magazine, un rendez-vous pour un titre de séjour, etc… Une journée durant laquelle, à chaque détour de rue ou de rencontre, ressurgissent les souvenirs de son passé d’activiste à l’origine du mouvement Femen et les nombreuses désillusions auxquelles elle fut confrontée…

Quoi de mieux pour évoquer une forme marquante de militantisme que de revenir à sa source ? Il fallait bien cela pour évoquer le mieux possible le mouvement féministe Femen, connu aujourd’hui pour ses actions bruyantes à l’échelle internationale mais qui vit surtout le jour à l’Est sous l’impulsion d’une poignée de jeunes militantes ukrainiennes. Désireuses de sensibiliser l’opinion publique aux droits des femmes et aux injustices de toutes sortes, via des actions à mi-chemin entre le happening et l’exhibitionnisme (slogans peints sur le corps et couronnes de fleurs sur la tête), et ce au péril de leur propre vie, Oxana Chatchko et ses amies auront pourtant fini par se désolidariser du mouvement dès lors que celui-ci, propagé et médiatisé sur l’ensemble du continent européen, se sera vu récupéré à des fins de « fashion-révolte » par leur compatriote autocratique Inna Chevtchenko. En rendant justice à une héroïne plus ou moins oubliée (en tout cas, dont l’importance du rôle a été quelque peu occultée), Charlène Favier ne vise pas seulement à remettre les pendules à l’heure sur la vraie origine des Femen. Ce second film plus ambitieux prolonge surtout le parti pris central de "Slalom" : utiliser les moyens du cinéma pour s’immerger dans la psyché d’une jeune femme révoltée.
Ceci étant dit, si elle dissèque à nouveau un processus de révolte féminine au sein d’un système oppressant, Charlène Favier tranche cette fois-ci radicalement avec ses précédentes habitudes de mise en scène. À la fluidité et à la sobre élégance de "Slalom" succède ici une dimension de fresque-puzzle où la psyché du personnage se révèle au travers de la fragmentation (aussi bien la sienne que celle du récit lui-même), et où la lumière et la couleur agissent comme d’authentiques chocs sensitifs. Comme pour contrer ce soupçon de biopic illustratif qui pouvait éventuellement lui pendre au nez, la réalisatrice opte pour des idées de mise en scène en adéquation parfaite avec le sujet. Choix du cadre resserré qui capture les visages à la manière d’icônes et compresse l’espace de façon progressive. Flash onirique d’une sorte de cérémonie crypto-paganiste qui, en se positionnant aux extrémités du récit, place d’entrée le scénario sous l’angle de la lecture symbolique. Déconstruction narrative qui part d’une journée décisive de la vie d’Oxana (sa dernière, qui s’achèvera par son suicide) pour revenir peu à peu, par échos et par bribes viscérales, sur les étapes d’un parcours ô combien chaotique.
Ne quittant jamais d’une semelle son héroïne (ici de toutes les scènes et de presque tous les plans), Charlène Favier accouche d’une réalisation prodigieusement subjective, voire carrément mentale, qui réussit à isoler et à refléter l’intériorité du personnage à mesure que la caméra accompagne ses combats et ses errances. Rien n’est oublié à son sujet, qu’il s’agisse de son enfance précaire, de son virage spirituel à 180°, de sa réappropriation artistique des figures religieuses orthodoxes à des fins provocatrices, de la création du slogan Femen, des violences subies par le groupe à la suite d’actions militantes contre la corruption des élites, de la trahison d’Inna Chevtchenko qui ira jusqu’à s’imposer en figure matricielle de la section, de l’exode politique en France où elle intégrera les Beaux-arts, et de cette ultime phrase (« you are fake ») qui en dit long sur l’évolution de sa pensée et de son état d’esprit. Mais, on insiste, le résultat n’a rien d’un calque HD de page Wikipédia. C’est toute l’âme rebelle et anarchiste de son héroïne qui s’imprime en permanence sur l’écran, soutenue autant par de jeunes actrices d’une phénoménale puissance d’incarnation que par des partis pris de montage et de scénographie capables de transcender la force du propos pour mieux le servir. En cela, rarement un film aura porté aussi justement le nom de son héroïne.
* composée ici en réalité d’événements qui ont eu lieu sur environ deux ans (voir interview)
Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur