NOSFERATU
Vampire en toute intimité mais pas trop
En 1838, Thomas Hutter un jeune clerc de notaire et sa femme Ellen vivent un mariage heureux dans la ville de Wisborg en Allemagne. Alors qu’il s’apprête à faire un voyage éprouvant jusqu’en Transylvanie afin de vendre une propriété à un mystérieux comte du nom de Orlock, sa femme Ellen le conjure de rester. Thomas prend la route malgré l’insistance de sa femme. Il était loin de se douter que ce trajet le ferait rencontrer une créature sombre et ancestrale, et qu’il risquerait de la ramener alors sur le continent, auprès de sa Ellen…
C’est en 1922 que l’immense réalisateur allemand Friedrich Wilhelm Murnau (responsable du chef d’œuvre "L’Aurore" en 1927) s’attaque au mythe du vampire dans un film qui fera l’effet d’une bombe : "Nosferatu, une symphonie de l’horreur". Avec Max Schreck dans le rôle-titre et son physique cadavérique, ainsi que la mise en scène expressionniste de F.W. Murnau, le film devient un classique instantané grâce à ses expérimentations visuelles et la proposition d’une fable horrifique qui mêle aussi bien les peurs primaires qu’un romantisme aux élans poétiques interdits. Depuis, bon nombre sont ceux qui ont essayé d’imiter, de rendre hommage ou de copier le style de ce film, tellement c’est une œuvre matricielle dans l’histoire du cinéma avec une narration visuelle irréprochable encore aujourd’hui.
Il faudra attendre 1979 et un certain Werner Herzog ("Aguirre-La colère de dieu", "Fitzcarraldo") pour voir proposer au public une nouvelle lecture du classique avec Isabelle Adjani dans le rôle d’Ellen et l’acteur fétiche et turbulent du réalisateur Klaus Kinski pour endosser le rôle de la créature : "Nosferatu Fantôme de la Nuit". Avec ses défauts naturels de l’image en pellicule et une ambiance onirique qui rendait autant hommage que trouvait sa propre identité, le film de Herzog constituait une proposition intéressante et pertinente. On ne peut pas dire que depuis Hollywood ait laissé tomber le mythe du vampire. Que ce soit dans des adaptations à outrance du mythe (qui se souvient de "Dracula 2000" ?) ou dans la création de franchises (Universal avec son Monster Universe des années 30 ou aujourd’hui avec les "Underworld" ou "Twilight"), notre bon vieux suceur de sang a été adapté en long et en large en fonction du public ciblé, se vidant petit à petit de la substantielle moelle qui en faisait un monstre d’horreur iconique lorgnant sur les thèmes de la sexualité pour devenir de la chair à canon bête et méchante.
Et même si certains réalisateurs ont réussi à retranscrire toute l’étrangeté du mythe, que ce soit Park Chan-Wook avec son superbe "Thirst-Ceci est mon sang" (2009), Francis Ford Coppola avec le barroque "Dracula" (1993 en France) ou encore "Entretien avec un vampire" de Neil Jordan (1994) qui mettait en scène l’érotisme inhérent à la légende, on attendait le moment où ce bon vieux Hollywood allait nous proposer un nouveau remake du grand classique. Mais c’est bien le nom de Robert Eggers qui a attiré notre attention lors de la fatidique annonce. Cinéaste britannique arrivé par la porte des grands avec "The Witch" en 2015, il s’est vite imposé comme un auteur à suivre de près. Et c’est avec ses deux longs métrages qui suivront, "The Lighthouse" en 2019 et "The Northman" en 2022, que le bonhomme va affirmer sa patte autant esthétique (des cadres composés, un rythme proche du contemplatif, une ambiance sonore toujours unique) que thématique avec ces notions de destins auxquels ses personnages ne peuvent échapper, quoi qu’ils fassent.
En compagnie de son fidèle directeur de la photographie, Jarin Blaschke, et d’un casting de haute volée, sur le papier cette relecture était partie pour être le gros choc esthétique de cette fin d’année. Et dire que le film est beau est un euphémisme. Que ce soient les ruelles de Wisborg où déambule Thomas (impeccable Nicholas Hoult) ou le domaine du comte sur une colline enneigée, chaque plan respire la composition millimétrée et le travail sur les ombres, tout en gardant la lumière naturelle, et s’avère tout bonnement somptueux. Dès la séquence d’intro avec l’ombre de la créature qui apparaît sur le rideau au gré du mouvement du vent, nous sommes saisis... comme hypnotisés. On sent même une volonté du réalisateur de nous faire ressentir ce que la pauvre Ellen traverse : comme elle, le cinéaste tente de nous faire tomber comme dans une transe afin d’être autant fasciné par le monstre, que répugné. L’utilisation de la musique toute en vrombissements et crissements renforce cette idée de bulle atmosphérique que le réalisateur tente de créer.
Et nous ne reviendrons pas sur la direction artistique d’une beauté renversante parce que malgré toutes ces qualités techniques le film pèche à des endroits étonnants de la part du réalisateur. Premièrement on ne peut cacher notre étonnement face à l’utilisation répétitive de jump-scare qui peut partiellement gâcher le visionnage. Déjà parce que, de la part du réalisateur, s’abaisser à un gimmick de film d’horreur si facile et factice nous a fait sauter de notre siège mais pas pour les bonnes raisons. Comme si le cinéaste et son monteur n’avaient pas pleine confiance dans la puissance évocatrice des images constituées ni dans cette atmosphère pesante et morbide pourtant très bien retranscrite. On se souvient de "The Witch", qui arrivait à nous faire dresser les poils seulement avec un silence. Là encore un autre bémol : où sont passés les silences si chers au réalisateur ? La musique bien qu’intéressante dans ses sonorités envahit beaucoup trop l’espace et trahit encore une fois un manque de confiance. Pourquoi avoir besoin de souligner l’effroi à ce point ?
Au fur et à mesure que le film avance, une certaine artificialité pointe le bout de son nez et rend l’expérience finalement un peu vaine, au point où on se demande l'intérêt d’une telle relecture. Ceci en sachant que le film prend son temps - il ajoute presque une demi-heure à l’histoire d’origine - pour se perdre en sous intrigues avec des acteurs pas forcément à leur aise (on pense à Aaron Taylor Johnson malheureusement, qui ne trouve pas le ton juste). Alors oui on se délecte des moments de montée en puissance et des plans fabuleux (comme cette main au-dessus de la ville) et on comprend, lorsqu’on connaît la filmographie du bonhomme, où il veut en venir. On est comme dans ses précédents travaux sur le questionnement de la prédestination avec ici Ellen promise au comte Orlock malgré elle, attirée par lui de façon inexorable.
Lorsque le combat prend des allures de scènes charnelles et sensuelles, on distingue les meilleurs moments du film. Robert Eggers apporte une vraie lecture contemporaine sur la notion de désir interdit et inexplicable, et on se surprend à être entre le dégoût et l’excitation lors de la séquence finale. On ne peut pas dire que le choix du casting ait été très inspiré avec Bill Skarsgard en Nosferatu, lui qui se retrouve à jouer les boogeyman emblématiques à Hollywood (en clown tueur avec "Ça", notamment), on aurait aimé une prise de risque plus intéressante. Il fait bien entendu le job, mais on ne peut s’empêcher de penser à un certain manque d’intuition de la part de la production et à quoi aurait pu ressembler l’affaire avec un autre visage. La présence également de Lily Rose Depp oscille entre le terrifiant, avec ses scènes de convulsions (on pense à Isabelle Adjani dans "Possession") et l’embarrassant, quand il s’agit de trouver le ton juste lors des scènes intimistes. Tout comme le choix de l’avocat Knock par Simon Mcburney, excellent acteur au passage bien entendu, mais si évident qu’il enlève le peu de suspense entourant son personnage dès sa première apparition. Que ce soit avec sa gueule marquée ainsi que son jeu tout sauf nuancé, même le spectateur ne connaissant pas l’histoire d’origine saura qu’il mijote quelque chose de funeste. Mentionnons au passage Willem Dafoe qui semble être l’un des rares à trouver la bonne tonalité et donne l’impression que lui seul s’est retrouvé au bon endroit.
Malgré ses nombreuses qualités techniques, le long métrage se retrouve à mi-chemin entre le film d’épouvante classique avec ses visions presque subliminales et le film d’époque un peu trop verbeux. C’est peut-être la première fois qu’on sent le jeune cinéaste Robert Eggers pas forcément en pleine possession de ses moyens, comme écrasé par le poids mythologique de sa créature et de ses pairs. On conseillera cette version à celles et ceux qui n’aiment pas regarder de vieux films par principes mal placés, mais si vous êtes venus pour constater l’évolution de cet héritage expressionniste vous en ressortirez avec un goût amer dans la bouche.
Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur