MOTHER LAND

Un film de Alexandre Aja

Mauvaise terre

Dans un monde désolé où toutes choses semblent avoir pris fin, une mère élève ses deux fils dans une cabane isolée en pleine forêt. Faisant leur possible pour survivre en se nourrissant comme ils le peuvent, la vraie menace est pourtant beaucoup moins palpable et plus perfide : selon leur mère, le « Mal » s’est répandu sur Terre et le seul endroit sûr est cette cabane. Ils ne peuvent en sortir qu’en étant attachés par une corde qu’ils ne doivent en aucun cas lâcher. Mais un jour, la corde lâche et le cauchemar les rattrape…

Avant l’arrivée d’Halloween le mois prochain, les salles sont généreuses en films estampillés horreur ("L’IA du Mal"...) et autres joyeusetés sadiques ("Speak No Evil"…). Et c’était avec une lueur d’espoir que l’on constatait l’arrivée, en cette fin septembre, du nouveau long métrage de notre frenchie Alexandre Aja, en espérant qu’il donne un bon coup de pied à ces divers longs métrages un peu mornes et assez consensuels. Parce que oui, le réalisateur français a un tableau de chasse qui annonce un pedigree intéressant : la révélation avec "Furia" en 1999, le choc "Haute Tension" avec la merveilleuse Cécile de France en 2003 et sa trilogie officieuse qu’on appellera « comment faire de bons remakes made in USA » avec "La Colline à des Yeux" (2006), "Mirrors" (2009) et bien entendu le délirant "Piranha 3D" (2011). Depuis le bonhomme se lance des défis en changeant de registre, en essayant de bouger ses fondations afin d’en tirer le meilleur de lui-même et quand on dit cela, on pense évidemment à "Horns" (2013) avec un Daniel Radcliff version diable à corne ou encore à son dernier grand coup d’éclat avec le bon film de grosses bébêtes intitulé "Crawl" (2019).

Cette carrière qui semble être un sans faute n’est évident pas exempte autant de défauts inhérents à certaines œuvres citées plus haut que de certains pas de côté où le changement de registre a plus ramené le réalisateur vers un certain conformisme voire une forme de paresse (coucou "Oxygène" et "La neuvième vie de Louis Drax"). Nous sommes évidemment conscients des limites de ce cinéaste qui s’oriente toujours à mi-chemin entre la bonne série B bourrine et une volonté de messages, de thématiques, qui jalonnent son cinéma. D’autant qu’il s’est vite expatrié aux États-Unis afin d’utiliser un système plus favorable à investir dans ce qu’on pourrait appeler chez nous le « film de genre », tout en gardant un esprit critique sur le système qui l'accueille. Il n'y a qu’à se rappeler le générique de début de "La Colline à des Yeux" pour voir la charge cynique qui habite le cinéaste. Mais, et on ne peut pas le blâmer, on sent dans ses deux derniers égarements une volonté de jouer le jeu et de réaliser certaines commandes sans les rendre autant personnelles que d’autres ("Mirrors" était par exemple une transformation d’un film de studio en film sacrément méchant).

Hélas pour nous, "Mother Land" est à ranger sur cette étagère un peu poisseuse, malgré un casting impliqué et une direction artistique assez impressionnante. Il y a un plaisir évident à retrouver Halle Berry (Oscar de la meilleure actrice en 2002 dans "A l’Ombre de la Haine" alias "Monster’s Ball") sur grand écran, elle qui s’est contentée de plusieurs séries B voir Z ces dernières années après avoir été éjectée d’un Hollywood qui ne sait pas quoi faire de ses talents. Tout, que ce soit dans son regard, ses mimiques corporelles, tout de l’actrice est convoqué pour donner une chance à ce personnage ambigu d’exister correctement. Le film se fait un malin plaisir à mettre en place cette dualité : d’un côté la mère aimante, bienveillante, et de l’autre la protectrice à l’extrême dotée d’une certaine violence quand elle s’adresse à ses fils ou dans ses gestes. Petit à petit on en vient à se demander ce qui est vrai dans ce qu’elle raconte ou non, et bien entendu nous ne spoilerons rien ici pour celles et ceux qui veulent en avoir la surprise.

La grande qualité du film est de ne jamais véritablement trancher sur ses aspects là, laissant la chose à la lisière du fantastique, en respectant sa définition même : le fantastique ne doit jamais être expliqué. Mention spéciale aux deux jeunes acteurs qui accompagnent la superstar et qui n’ont pas à rougir de leur prestation. Ils retranscrivent à merveille leurs émotions et cette dualité d’idéologie qui s’installe peu à peu entre les deux frères. Là où le bât blesse c’est dans la mollesse de la narration et ce paradoxe qui s’installe : là où le film crée du brouillard, il surexplicite une situation à côté et ceci plusieurs fois. C’est bien simple, l'exposition semble être interminable et le rajout de voix-off, qui rappelle ce que les personnes viennent de dire déjà dans 6 séquences différentes (on a compté) avec en plus un titrage par segment qui appuie encore plus ce qu’on sait déjà, n’aident pas à la légèreté. On en connaît des films qui nous font traverser les passages piétons en nous tenant la main tellement fort qu’ils nous broient les doigts (c’est de toi qu’on parle, "Lucy" de Luc Besson), mais "Mother Land" atteint un panthéon certain qui ne peut être synonyme autant de talent (pour ce niveau) ou de producteurs frileux en pensant qu’ils ont affaire à des spectateurs tout simplement bêtes.

Là où le film aurait pu jouer de son ambiance et de ses décors, les dialogues ne font que souligner ce qu’on sait déjà et la sensation de faire du surplace s’installe. Ainsi que celle qu’on se paye un peu notre tête aussi. Le troisième acte relève la barre en termes d’énergie et de pièces rapportées au puzzle, mais il est fatiguant de voir un superbe matériau pour un film purement d’ambiance (que David Lynch n’aurait pas renié) déboucher sur finalement un film assez gentillet, qui ne prend pas de risques et ressemble plus à un bon épisode de la trilogie du samedi soir qu’à un film de cinéma.

Germain BrévotEnvoyer un message au rédacteur

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