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MON PAYS IMAGINAIRE

Un film de Patricio Guzmán

L’indispensable œil du témoin

Le 18 octobre 2019, un véritable incendie social s’est déclaré au Chili, suite à l’augmentation du prix du ticket de métro. La jeunesse s’est révoltée, enclenchant un mouvement de protestation sans précédent, auquel le gouvernement n’a su répondre que par un appel à l’armée. Un choix rappelant les années de la dictature et ayant entraîné dès la semaine suivante un rejet total de la part de la population et une mobilisation de plus d’un million et demi de personnes dans les rues de Santiago…

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Patricio Guzmán est connu pour ses documentaires, souvent poétiques, mêlant des considérations environnementales et l’Histoire de son pays, tels "Nostalgie de la lumière" ou "Le bouton de Nacre". Son nouveau long métrage suit un mouvement social récent, où les violences eurent une bonne part, ayant menées en deux ans à un processus de révision de la constitution, tant décriée, notamment du fait qu’elle était héritée de la dictature. Faisant d’entrée un parallèle avec son premier documentaire, illustré ici par quelques images en noir et blanc, où il filmait "La première année" (c’était son titre) du gouvernement Allende, avant que l’espoir ne soit écrasé par les militaires. Un docu repéré alors par Chris Marker, qui en permit la sortie en France, et dont le conseil d’alors entre en résonance avec une bonne partie de l’œuvre de Guzmán : « il faut être là où se produira la première flamme ».

Admettant qu’il n’a pas réussi cette fois-ci à être au bon endroit au bon moment, il se fait néanmoins le témoin d’un mouvement et d’une indignation qui irriguent toute la société, et choisit de donner la parole à celles qui en sont les représentantes les plus ferventes : les femmes. Mêlant ainsi interviews et images de manifestations et d’affrontements de rue, Patricio Guzmán montre la disproportion de l’intervention des militaires, oppose la joie et la revendication à la violence systématique et aveugle, tout en mettant en avant la détermination d’une jeunesse qui n’a plus grand chose à perdre. Les quelques chiffres égrenés au fil de cette démonstration font froid dans le dos (73% de bébés naissent de mères célibataires...), et les situations indignes (travail contraint des personnes âgées, logements en bidonvilles, absence d’éducation civique à l’école…) sont évoquées avec ce qu’il faut de gravité.

Mais c’est avant tout une note d’espoir, avec son lot d’inquiétudes et d’incertitudes issues de deux années de chaos, qui permet d’embarquer le spectateur. Naissances de conseils citoyens, nouvelles élections présidentielles, mouvements féministes pointant notamment les policiers (le passage explicatif sur la chanson qui a fait le tour du monde « El violador eres tu » donne des frissons…), la construction est limpide, mettant en avant grâce à quelques vues de drones récurrentes, l’ampleur du mouvement, autant que les interviews en révèlent la diversité. Débutant et bouclant vers la fin, sur ces pierres issues de pavés déterrés, seules armes des manifestants face à l’armée, l’auteur ajoute quelques bruits de vagues, tel un début d’apaisement qu’apporterait la tant espérée nouvelle constitution en cours d’écriture. On en ressort plein d’espoir, en se disant que tout n’est peut-être pas perdu, dans un pays qui a connu la dictature et où le rapport entre l’armée, la police et les citoyens est clairement dominé par la défiance.

Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur

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