METS TON COEUR SUR LA MAIN ET MARCHE
De chair et de sang
Synopsis du film
La réalisatrice iranienne Sapideh Farsi dialogue avec une jeune palestinienne au cœur de Gaza. Grâce à ces conversions en facetime, elle devient les yeux de la cinéaste pour nous montrer la tragique réalité de la région…

Critique du film METS TON COEUR SUR LA MAIN ET MARCHE
Sapideh Farsi, réalisatrice notamment connue pour ''La Sirène'', ''Demain je traverse'' ou encore ''Red Rose'', ne peut plus retourner dans son pays natal, l’Iran, sous peine de risquer l’emprisonnement. Fatem Hassona est, elle, une jeune palestinienne, bloquée dans les décombres de la bande de Gaza. Ces deux femmes dont les situations opposées se reflètent par leur tragédie vont commencer à échanger par écrans interposés. Dans cette bulle qu’elles se créent, une amitié sincère naît entre les deux protagonistes, permettant à la première de trouver des yeux au cœur du chaos, nous offrant un témoignage bouleversant et saisissant du sort actuel des derniers résidents de ce territoire meurtri.
Si le synopsis officiel révèle la conclusion du documentaire (qu’on ne donnera pas ici), l’enjeu du film n’est pas dans un faux suspense, mais bien dans l’exploration de la psyché d’un être humain dont la vie a, à jamais, été chamboulée. Si cette dernière phase peut sembler banale, à la projection du métrage, elle prend un tout autre sens, tant ce que doivent endurer les gazaouis n’a plus rien d’« humain ». Évidemment, il serait facile de dire qu’on a déjà vu ces images, que les journaux télévisés en parlent quotidiennement depuis le 7 octobre 2023. Oui, mais ici, il ne s’agit pas de politique, de chiffres annoncés aussi froidement que ceux du reportage suivant, il est question des âmes qui errent dans une ville fantomatique où tout n’est plus que ruines et débris. La destruction est partout ; la mort, une faucheuse qu’on croise plus que sa famille.
Pas besoin d’insister plus pour comprendre à quel point le visionnage de ''Put Your Soul on Your Hand and Walk'' est douloureux. Pourtant, ce portrait poignant est étonnement lumineux, presque rieur. Car Fatem garde toujours le sourire, trouve le temps de rigoler de choses qui feraient pleurer la majorité des gens. Elle est sa propre lueur au cœur d’une obscurité qu’on ne devrait plus connaître en 2025. Ce décalage entre son existence et ses sessions whatsapp est déroutant, surprenant, même déstabilisant quand elle arrive à s’amuser des bombardements qui se rapprochent sans la toucher. Mais derrière cette gaieté de façade, les stigmates de la guerre s’amoncellent au fur et à mesure des minutes. Les joues deviennent creusées par la faim, les pensées perdent en fluidité en raison de la fatigue, les blagues d’hier se remplissent d’inquiétude et de détresse.
Bien que l’expression soit souvent galvaudée, le documentaire de Sapideh Farsi est nécessaire. D’abord, parce qu’il livre un contenu rare sur la banalité de l’horreur, et ensuite, par sa capacité à nous rappeler comment l’abstraction poétique peut surgir de n’importe quel abîme. Par ses photos et ses poèmes, Fatem crée non pas pour oublier l’atrocité mais pour lui opposer du beau, l’art comme arme pour ceux qui ne peuvent pas se défendre. Pamphlet humaniste à hauteur d’individu, le film s’impose comme l’un des premiers chocs du Festival de Cannes.
Christophe BrangéEnvoyer un message au rédacteur