MARIA

Un film de Pablo Larraín

Petits arrangements avec le réel

Au cours de la dernière semaine de sa vie en septembre 1977, Maria Callas, la plus célèbre cantatrice du XXe siècle, tend à devenir l’ombre d’elle-même : elle a perdu une partie de ses facultés vocales et vit recluse dans son luxueux appartement parisien depuis plusieurs années. Encouragée par un jeune journaliste, elle se remémore sa carrière…

"Neruda", "Jackie", "Spencer"… Pablo Larraín ne va-t-il pas finir par se voir étiqueté ad vitam aeternam à force d’enfiler les (faux) biopics classieux d’illustres personnalités du XXe siècle ? Très honnêtement, tant que sa ligne directrice obéira au même tracé qualitatif, on sera au rendez-vous. À chaque fois, sous la seule force de son point de vue, les conventions les plus basiques de ce genre plus cache-misère et consensuel qu’autre chose se voient revisitées, retravaillées, contestées ou esquivées. Et cette approche des derniers jours de la Callas n’y échappe pas, ne serait-ce que parce que le cinéma lui-même s’y voit mis en exergue par le choix malin d’un découpage en chapitres séparés par des claps. Au fond, on pourrait dire que toute la clé du film est lâchée assez vite dans le récit par la diva elle-même : « Ce qui relève du réel ou pas ne regarde que moi ». Cela en dit long sur la subjectivité du point de vue adopté et le trouble que le spectateur sera contraint d’épouser quant à l’authenticité de ce qu’il va (perce)voir. À ce titre, le résultat contourne les poncifs qu’il fait mine de ressasser ici et là sur le fardeau de la célébrité pour au contraire tutoyer aussi bien l’immersion mentale que le trip mémoriel, et ce tout en jouant allégrement sur l’idée même de « projection » (au sens large).

Comme à son habitude vis-à-vis du genre, Larraín mélange à loisir les formats d’image et les textures chromatiques pour éclater façon puzzle une icône planétaire dont il préfère enregistrer l’éparpillement des pièces pour mieux en interroger (mieux : en mettre en perspective) l’aura introspective. Les époques s’y mélangent aussi aléatoirement que les étapes-clés de la vie de Maria Callas (ses vocalises d’enfance en pleine occupation de la Grèce par les nazis, sa rencontre et sa relation compliquée avec Aristote Onassis, ses dernières années dans le XVIe arrondissement de Paris, etc.) tout au long d’une narration majoritairement guidée par l’interview-confession de la diva face à un jeune journaliste joué par Kodi Smit-McPhee – dont la nature imaginaire aide à amplifier le vertige suscité par le scénario. Si le film cherche à « éclairer » la Callas, la nature du verbe est à clarifier : il est ici moins question de comprendre une personnalité entière et adulée que de magnifier une icône paradoxale et tourmentée, certes portée en haute estime par son public et son entourage (mention spéciale à ses domestiques et amis, très bien incarnés par Alba Rohrwacher et Pierfrancesco Favino), mais sujette à un état fiévreux de par l’abus de médicaments, les aléas romantiques de son existence et la sensation de non-éternité vis-à-vis de cette « perfection vocale » qu’elle incarne – écouter ses propres enregistrements relève à ses yeux de la torture.

Tantôt sereine tantôt tempétueuse en fonction des ressentiments qui taraudent son personnage, Angelina Jolie en impose magistralement, tant sur les nuances de l’acting que sur l’intensité de la voix, en dépit d’un premier close-up chanté qui semble cocher toutes les cases du playback foiré. Osons estimer que ce léger « couac » participe lui aussi du trouble qui s’infuse tout au long de cette narration polyphonique, émaillée de travellings élégants et de cadrages à la symétrie quasi kubrickienne, où la mise en scène paraît destinée à marcher sur les pas de l’aura impalpable de la Callas sans pour autant prétendre pouvoir en percer toutes les caractéristiques du mystère intime. L’aspect composite de la bande-son va lui aussi dans ce sens en mêlant de célèbres morceaux d’opéra (forcément ceux chantés par son héroïne) à des sonorités plus contemporaines et planantes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le générique de fin de "Maria" démarre sur fond du morceau le plus connu de Brian Eno, à savoir l’inoubliable An Ending (Ascent), déjà utilisé dans "Traffic", "Clean" et "28 jours plus tard". Une musique envoûtante dont la progression lancinante suffit à tout clarifier : l’ascension en tant que finalité. Le destin des mythes, en somme.

Guillaume GasEnvoyer un message au rédacteur

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