MANAS
D’une gueule du loup à une autre
Marcielle, surnommée Tielle, 13 ans, fait partie d’une famille nombreuse sur l’île de Marajó, au beau milieu de la forêt amazonienne. Alors qu’elle découvre à l’école le fonctionnement des organes de reproduction, elle voit dans le modèle de sa grande soeur, partie après une rencontre avec un homme, une issue vers une vie meilleure. Son père, qui l’emmène parfois en forêt et lui apprend à manier le fusil, lui interdit de se rendre sur la barge, un lieu où passent toutes sortes d’hommes, et où les filles sont exploitées…
C’est une histoire d’emprise que nous propose le troublant film brésilien "Manas", produit à la fois par Walter Salles et par les frères Dardenne. Récompensé du prix de la meilleure réalisation aux Venice Days 2024, le film suggère rapidement les envies d’évasion que peut manifester son héroïne, le jeune Marcielle, 13 ans, essayant de se faire faire une pièce d’identité en prétendant avoir 19 ans, l’âge en réalité de sa sœur Claudia, partie du nid. Il faut dire qu’au milieu de moments de complicité de la fratrie, notamment une baignade avec la mère, filmée au raz de l’eau dans le tourbillon de jeux enfantins, la mise en scène, par une proximité appuyée et des respirations trop saccadées de la part du père, suggère des rapports incestueux dont elle serait victime. Un effet renforcé par cette injonction à ne pas s’approcher de la barge, pour ses filles, lieu où justement d’autres hommes sont présents, profitant de l'exploitation des femmes.
Cette barge, lieu dans un premier temps mystérieux, avant que Marcielle et une camarade ne commencent à se maquiller et s’habiller sexy pour aller y vendre des crevettes, sera aussi paradoxalement l’extension du désir d’évasion de l’héroïne. Qu’il s’agisse de la curiosité pour le sud, pour ce froid qu’elle ne connaît pas, ou des promesses illusoires de vie meilleure, l’héroïne devra mesurer le prix à payer pour échapper à sa condition, initiant ainsi une rébellion adolescente aux enjeux bien plus profonds. Utilisant avec tact la suggestion, dans un environnement luxuriant qui pourrait être un paradis, "Manas" aborde la condition de la femme avec rudesse, mais aussi avec l’espoir d’un réveil salvateur.
Olivier BachelardEnvoyer un message au rédacteur